Au cours de la dernière décennie, le commerce extérieur marocain a connu une recomposition profonde, marquée par l’émergence de nouveaux acteurs et le redéploiement des équilibres traditionnels.
L’analyse des données de l’Office des changes entre 2015 et 2024 met en lumière une dynamique structurante: la montée fulgurante de la Chine comme fournisseur de premier plan du Royaume, au détriment de partenaires historiques comme la France et, dans une moindre mesure, l’Espagne.
La percée chinoise: un bouleversement structurel
Avec un bond impressionnant de 194%, les exportations chinoises vers le Maroc se sont multipliées quasiment par trois, passant de 30,7 milliards de dirhams (MMDH) en 2015 à 90,2 MMDH en 2024. La Chine se hisse désormais à la 2ème place des fournisseurs du Royaume, juste derrière l’Espagne.
Cette progression fulgurante est portée par l’explosion des importations de produits électroniques, technologiques et d’équipements industriels. À cela s’ajoutent la compétitivité des produits chinois dans des secteurs comme le textile, l’électroménager ou les matériaux de construction, ainsi que les investissements stratégiques dans les infrastructures marocaines.
Le maintien difficile des partenaires européens
Historiquement en tête, l’Espagne conserve sa première place avec 118,8 MMDH d’exportations vers le Maroc en 2024. Sa croissance (+121%) reste significative, mais inférieure à celle de la Chine.
La structure des exportations espagnoles vers le Maroc se distingue par une forte diversification. Les combustibles ont occupé la première place en 2024 avec 18% du total, suivis des appareils mécaniques (12%), des véhicules (11%), des appareils électriques (9%) et des plastiques (6%).
La France, elle, recule à la 3ème place, avec 71,4 milliards de DH. Elle souffre de la concurrence accrue de la Turquie dans le textile et les biens d’équipement, mais aussi d’un positionnement prix moins compétitif et d’une érosion dans des secteurs traditionnels comme l’agroalimentaire.
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La France vend principalement des céréales au Maroc, qui était en 2023 le cinquième plus gros acheteur de ces produits. Depuis 2000, plus de la moitié des produits agroalimentaires exportés par la France vers le Maroc sont des céréales. La France exporte aussi du lait et des produits laitiers vers le Maroc.
Les nouveaux challengers: Turquie, États-Unis, Inde
Derrière le trio de tête, d’autres pays affichent une dynamique impressionnante. Les États-Unis consolident leur 4ème position avec une croissance de 198%, portée par des exportations de produits technologiques, agricoles (notamment céréales) et aéronautiques.
La Turquie, passée de la 8ème à la 6ème place, enregistre une hausse de 148%. Elle s’impose dans le textile, l’électroménager et les matériaux de construction, grâce à une compétitivité-prix élevée.
L’évolution des importations en provenance du top 10 des fournisseurs du Maroc entre 2015 et 2024 en milliards de dirhams. (Source: Office des changes)
| Pays | 2015 | 2024 |
|---|---|---|
| Espagne | 53,65 | 118,81 |
| Chine | 30,68 | 90,23 |
| France | 46,13 | 71,35 |
| États-Unis | 23,72 | 70,77 |
| Allemagne | 21,58 | 39,82 |
| Turquie | 15,814 | 39,25 |
| Italie | 20,12 | 34,57 |
| Arabie saoudite | 9,68 | 24,81 |
| Portugal | 10,78 | 19,81 |
| Inde | 3,89 | 15,73 |
Autre changement notable: l’Inde fait son entrée dans le top 10 des fournisseurs du Maroc, en 10ème position. Cette percée reflète l’ouverture croissante du Maroc vers l’Asie du Sud. L’Inde exporte au Maroc notamment les produits pharmaceutiques, pétroliers, chimiques, plastiques, électroniques, du textile, les téléphones portables, les pièces automobiles.
À l’inverse, la Russie, 7ème fournisseur en 2015, disparaît du classement en 2024, probablement en raison d’un recul des importations énergétiques et des effets des tensions géopolitiques internationales.
Une recomposition géographique des partenaires
Cette nouvelle configuration du top 10 s’accompagne d’une recomposition géographique marquée. L’Europe, bien qu’encore dominante avec 5 pays (Espagne, France, Allemagne, Italie, Portugal), voit sa part relative diminuer. Sa croissance est réelle en valeur, mais bien inférieure à celle de l’Asie.
L’Asie est la grande gagnante de la décennie. La Chine (2ème), la Turquie (6ème) et l’Inde (10ème) affichent des croissances spectaculaires. L’Asie devient un pilier central des importations marocaines, portée par des produits compétitifs et des partenariats économiques renforcés.
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L’Amérique du Nord, via les États-Unis, maintient sa position avec une croissance soutenue dans des secteurs stratégiques (technologies, agriculture, industrie). Le Moyen-Orient, représenté par l’Arabie saoudite (8ème), conserve sa place grâce aux exportations d’hydrocarbures.
Cette recomposition géographique traduit une stratégie marocaine de diversification des sources d’approvisionnement, une adaptation aux nouvelles chaînes de valeur mondiales et un positionnement plus affirmé vis-à-vis des puissances émergentes.
Mutations structurelles du tissu industriel marocain
Les évolutions constatées sont aussi le reflet des mutations structurelles du tissu industriel marocain. Le Royaume accélère sa transformation industrielle dans des secteurs comme l’automobile, l’électronique, les BTP et les énergies renouvelables. Parallèlement, il cherche à réduire sa dépendance excessive à certains fournisseurs européens.
Les accords de libre-échange avec l’Union européenne (UE), les États-Unis et la Turquie ont joué un rôle, tout comme l’intensification des relations bilatérales avec des puissances asiatiques.
Perspectives: vers un nouvel équilibre
En perspectives, plusieurs tendances semblent se dessiner. La Chine pourrait dépasser l’Espagne dans quelques années, comme premier fournisseur du Maroc. La Turquie et l’Inde devraient continuer leur progression, dans un contexte de diversification des échanges. Le Maroc pourrait renforcer sa politique d’industrialisation et d’autosuffisance dans certains secteurs, pour réduire sa dépendance extérieure.
L’évolution des dix premiers fournisseurs du Maroc entre 2015 et 2024 ne constitue pas seulement un changement de classement: elle reflète un basculement stratégique dans la géographie commerciale du Royaume.
Entre montée en puissance des partenaires asiatiques, maintien des relations historiques avec l’Europe, et ouverture vers l’Amérique du Nord, le Maroc redéfinit les contours de ses échanges extérieurs. Une dynamique qui lui impose désormais de conjuguer ouverture internationale, souveraineté économique et renforcement de sa base industrielle nationale.







