Le Maroc met en œuvre un ambitieux programme national de transport public urbain par autobus pour la période 2025-2029, doté d’un budget d’environ 11 milliards de dirhams. L’objectif est d’améliorer la qualité et la capacité du service public dans 84 villes et agglomérations, avec un financement conjoint du ministère de l’Intérieur, du ministère de l’Économie et des Finances, et des 12 régions du Royaume.
Au total, près de 3.800 autobus seront acquis dans le cadre de ce programme, accompagnés de systèmes intelligents d’aide à l’exploitation et d’information voyageurs, ainsi que de centres de maintenance.
La première phase a permis la réception de plus de 327 autobus aux ports de Casablanca et d’Agadir, destinés aux villes de Marrakech, Agadir, Tanger, Tétouan et Benslimane. Les phases suivantes couvriront 18 autorités délégantes pour la deuxième phase et 12 pour la troisième, touchant plus de 50 villes supplémentaires, dont Casablanca, Meknès, Laâyoune et Béni-Mellal.
Tous ces véhicules ont été jusqu’ici importés auprès du géant chinois Yutong, suscitant une certaine déception parmi ceux qui espéraient que le programme stimulerait l’écosystème industriel marocain des autobus et poids lourds. Pourtant, lors de l’annonce initiale, l’idée d’une production locale semblait privilégiée. Pourquoi le gouvernement a-t-il finalement opté pour l’importation?
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«Ce programme constitue effectivement une opportunité pour l’industrie locale. Mais dans un premier temps, les capacités nationales étant limitées, la majorité des véhicules est importée, avec l’objectif d’intégrer progressivement la production locale», explique une source autorisée au ministère de l’Industrie.
Sur le plan économique, les constructeurs étrangers, notamment turcs et chinois, proposent des prix plus compétitifs et des délais de livraison plus courts, grâce à des chaînes industrielles déjà bien rodées. Résultat: malgré la volonté de soutenir l’industrie nationale, l’importation reste, pour l’heure, la solution la plus rapide et la plus rentable.
Adil Zaidi, président de la Fédération de l’automobile, rattachée à la CGEM, pointe de son côté un problème de planification: «Les appels d’offres, gérés individuellement par les villes, manquent de centralisation, ce qui réduit leur impact industriel potentiel. On ne peut pas lancer des appels d’offres à quelques mois de l’échéance et espérer stimuler l’industrie.» Selon lui, une planification plusieurs années à l’avance, combinée à la standardisation des bus et à la centralisation des achats, est indispensable pour créer un effet de volume favorable à l’industrie nationale.
À cela s’ajoutent des contraintes économiques et administratives: «Les opérateurs marocains paient des droits de douane élevés sur l’acier et les pneumatiques, tandis que les véhicules importés bénéficient d’exonérations. De plus, un bus importé entièrement carrossé obtient une homologation simplifiée, alors qu’un véhicule assemblé localement doit passer par des procédures longues et coûteuses», détaille Zaidi.
Ces obstacles limitent l’effet catalyseur que pourrait avoir ce programme sur l’emploi et l’industrialisation locale. «Chaque bus fabriqué au Maroc génère 1,8 emploi par an. Si la production reste importée, cet impact est perdu», souligne le président de la Fédération de l’automobile. Selon lui, le programme reste pour l’instant une opportunité commerciale plutôt qu’un véritable levier industriel. «Avec une planification nationale, une standardisation et un soutien à la production locale, la filière pourrait couvrir les besoins nationaux et même se positionner à l’export», affirme-t-il.
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À vrai dire, le gouvernement a toujours pris en compte le développement de l’écosystème industriel national. De nombreuses concertations ont eu lieu entre le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Industrie et du Commerce et les industriels marocains. «La filiale locale de l’espagnol Irizar, dont l’usine est implantée à Skhirat, a été sollicitée, mais son carnet de commandes était déjà rempli, au moins jusqu’en 2027-2028», nous confie une source gouvernementale.
Cependant, face à l’urgence de garantir la continuité du service public et à la capacité limitée de production locale, le recours aux importations a été privilégié dans une phase transitoire. Cette approche permet un déploiement rapide tout en laissant le temps aux industriels marocains de structurer leurs unités et de renforcer leurs capacités technologiques.
Parallèlement, le ministère de l’Intérieur, qui chapeaute cette opération inédite, veille de son côté à maintenir une dynamique d’intégration industrielle. Au-delà des appels d’offres déjà lancés, 30 nouveaux contrats de gestion déléguée seront initiés d’ici 2029, offrant aux opérateurs marocains la possibilité de produire et gérer près de 2.400 autobus supplémentaires.
Cette dynamique a déjà porté ses fruits. Selon nos informations, un concessionnaire marocain, pour ne pas citer Tractafric Motors, en partenariat avec des industriels étrangers, notamment le chinois Yutong, a déjà entamé la création d’une unité industrielle capable de carrosser 600 véhicules par an, illustrant ainsi le potentiel de développement progressif de l’industrie locale.








