«Le cadre juridique du Crowdfunding doit être plus souple pour encourager l'innovation», affirme Adnane Addioui

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Très attendu, le cadre réglementaire du Crowdfunding prend forme. Un projet de décret a récemment été approuvé en application à la loi, n°15-18 sur le financement collaboratif, mais au-delà du cadre légal, du chemin reste à parcourir pour démocratiser l’accès à ce mode de financement innovant. Interview avec Adnane Addioui, président du MCISE.

Le 31/05/2022 à 15h18

L’écosystème des startups s’impatiente de la mise en place du cadre réglementaire pour le Crowdfunding attendu depuis plusieurs années. Ce mode de financement devrait permettre d’accélérer l’accès au financement des projets grâce à un mécanisme collaboratif innovant.

Le Crowdfunding permet en effet la collecte d’apports financiers d'un grand nombre de particuliers au moyen d'une plateforme Internet dans l’objectif de financer un projet qui peut avoir plusieurs formes (donation, dette, investissement ou achat) pour des associations, entreprises ou Individus. Ce mécanisme permet de soutenir les porteurs de projets pour réaliser leurs ambitions grâce au soutien de la communauté.

Le Conseil du gouvernement, réuni le jeudi 19 mai dernier, a approuvé un projet de décret portant application de la loi n°15.18 relative au financement collaboratif.

Dans cette interview, Adnane Addioui, président du Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE) et co-fondateur de la plateforme de Crowdfunding «Wuluj», revient sur le cadre juridique, jugé contraignant, et sur le besoin de sensibilisation du grand public à la culture du «Business Angel», pour réussir sa mise en place.

Un projet de décret a récemment été adopté pour mettre en application la loi sur le Crowdfunding. Comment évaluez-vous jusque-là le cadre juridique mis en place ?Par rapport à d’autres textes de loi, ce dernier avance assez rapidement, cela dit il est important de mentionner que le cadre devrait être plus souple afin d’encourager la frugalité et l’innovation. On impose jusque-là aux plateformes de disposer d’un capital social minimum de 300.000 dirhams, de disposer elles-mêmes d’une politique de prévention et de réduction des risques permettant d’identifier l’origine et la destination des fonds, tout en demandant des informations complémentaires en ce qui concerne les fonds conséquents et vérifier les interdits bancaires des différents acteurs.

Ces plateformes ont aussi l’obligation de désigner un commissaire aux comptes chargé d’une mission de «contrôle et de suivi des comptes de ses activités de financement collaboratif». Tout un arsenal qui doit être mis en place par la plateforme elle-même, qui alourdit son rôle d’accompagnateur de projets innovants et libérateur des énergies et des potentiels.

Le Crowdfunding en tant que philosophie est complètement différent de la logique bancaire classique. C’est une relation d’individu à individu, le texte de loi doit faciliter cette relation et la réglementer pour pouvoir servir les citoyens et les encourager à entreprendre.

Les Marocains sont-ils prêts à investir dans des projets à travers ce mode de financement?Le seul indicateur de réussite de l’adoption de cette loi est la création de plateformes qui sont les pièces maîtresses de ce mode de financement. La majorité des plateformes dans le monde ont un statut d’entreprise sociale ou entreprises d'intérêts général qui leur prodigue un arsenal de soutien pour œuvrer à leur mission (exemption de taxe, crédit d’impôts, subventions publiques, etc) ou des entreprises affiliées à des grands groupes qui leur permettent d’avoir une assise solide.

Les plateformes de financement participatif ont contribué à démocratiser le milieu de la finance d'entreprise et donnera, je l’espère, le goût du risque aux Marocains et une floraison de startups innovantes à fort impact. Mais pour que l’écosystème marocain soit réceptif à ce type de financement, il faudra passer par des campagnes de sensibilisation qui cible autant les entrepreneurs que le grand public. Et puis, sans soutien direct aux plateformes, le Crowdfunding ne pourra se développer, nous en savons quelque chose vu que nous y sommes de manière active depuis 2016.

Justement, malgré le vide juridique, quelques plateformes de Crowdfunding ont déjà vu le jour comme Wuluj, ce projet a-t-il réussi ?La plateforme Wuluj.com s’adresse aux startups innovantes et aux artisans novateurs qui souhaitent financer leurs projets et avoir accès au marché. A travers Wuluj.com, ces Startups ont pu dégager les premiers financements de leurs productions et accéder au marché national et international.

La plateforme a évolué depuis la crise sanitaire pour offrir une plus large tribune introduisant les associations humanitaires en plus des startups. Wuluj.com a soutenu ainsi 36 campagnes de levée de fonds dont 7 campagnes de start-ups. Le montant total des levées de fonds récoltées est de plus de 460.000 dirhams.

Parmi les réussites de cette période de pandémie figure l’association humanitaire «Aider Sans Limite» qui a atteint en l’espace d’un mois de campagne (pendant le mois de Ramadan) son objectif de lever plus de 70.000 dirhams versés pour la distribution de paniers alimentaires. Une autre réussite est celle de la start-up Idyr, une marque d’accessoires de mode éthique et durable, qui accompagne et soutient les artisans et familles en situation précaire à garantir la continuité de leur activité.

Avez-vous rencontré des difficultés ?Depuis sa création, Wuluj a bénéficié uniquement d’un soutien financier de partenaires internationaux tel que la Fondation Drosos qui a cru en nous dès 2014 et la fondation Open Society. Nous avons également pu compter sur l’écosystème autour du Centre Marocain Pour l’Innovation et l’Entrepreneuriat Social (MCISE).

Sans partenaires, ce type de plateforme n'aurait pas vu le jour et n'aurait pas survécu. Le modèle économique est très fragile puisque la rentabilité est très limitée pour ce genre de plateformes et le cadre fiscal n’est pas adapté (TVA et IS sur la donation...).

Une fois le cadre réglementaire activé, comptez-vous développer cette plateforme davantage ?Honnêtement non, le cadre proposé à ce jour est tellement contraignant et n’offre aucun soutien pour les plateformes qui veulent faire du don et de la pré-vente et donc nous ne pensons pas que nous pouvons suivre la nouvelle réglementation le cas échéant.

Le Crowdfunding en tant que philosophie est complètement différent de la logique bancaire classique, qui est tout à fait le contraire. C’est une relation d’individu à individu, le texte de loi doit faciliter cette relation et la réglementer pour pouvoir servir les citoyens. Elle doit également encourager et donner envie aux porteurs de plateformes comme le cas de Wuluj.com de se lancer et de continuer cette dure mission.

Au-delà du cadre juridique, comment réussir l’introduction du Crowdfunding au Maroc?Il y a encore de gros efforts à faire afin d’introduire le Crowdfunding au Maroc. Les mentalités doivent changer en faveur de ce mode de financement et de l’investissement «accessible» de manière générale en communiquant massivement à travers la TV, radio et réseau sociaux.

La culture du «Business Angel» est encore embryonnaire au Maroc, l'amorçage et la levée de fonds privés est très faible, des pays comme la Tunisie sont arrivés à résoudre toutes ces barrières en moins de 5 ans, à travers notamment le Startup Act et une réglementation incitative et une promotion de l'entrepreneuriat de manière positive auprès des citoyens et de la diaspora.

Il faut donc instaurer une véritable culture de Business Angel et sensibiliser le grand public à travers des success stories par exemple. Il faut expliquer au grand public que chaque personne peut à son niveau et selon ses moyens, s’il le souhaite, contribuer à la réalisation des projets qui peuvent impacter sur le plan social, économique et environnemental son propre entourage direct, sa commune, sa ville, sa région ou son pays.

Par Safae Hadri
Le 31/05/2022 à 15h18