Gestion déléguée: la CDG porte son volume à 37 MMDH pour soutenir l’investissement

Khalid Safir, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG).

En accélérant le recours à la gestion déléguée, désormais portée à 37 milliards de dirhams, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) franchit une nouvelle étape dans sa stratégie de mobilisation de l’épargne nationale. L’objectif: orienter davantage de capitaux vers l’investissement productif et renforcer le rôle du marché des capitaux dans l’économie, a déclaré Khalid Safir, directeur général de la CDG.

Le 13/11/2025 à 13h21

Les débats organisés par l’Association des sociétés de gestion et fonds d’investissement marocains. (ASFIM) autour du thème «Cap 2030: Mobiliser l’épargne nationale pour financer les grands projets de demain» ont rappelé une conviction désormais partagée au sommet de l’architecture financière marocaine: sans approfondissement massif du marché des capitaux, sans élargissement de la base des investisseurs et sans accélération de la libéralisation maîtrisée du régime de change, le Maroc ne pourra pas financer à la hauteur requise les infrastructures, réseaux et industries de la décennie à venir.

Dans cette perspective, les interventions de Khalid Safir, de la CDG, et de Younes Bouchelkha, chef du Département de la réglementation et des affaires juridiques à l’Office des changes, ont dessiné les contours d’un changement d’échelle attendu depuis plus d’une décennie: un système financier capable de convertir l’épargne domestique – longtemps sous-utilisée – en capitaux productifs, pérennes et diversifiés, susceptibles d’alimenter la transformation économique du Royaume.

Selon Khalid Safir, la mission de la CDG ne se réduit plus à la seule gestion sécurisée de l’épargne réglementée. Elle s’étend désormais à une fonction de connexion, de transformation et d’optimisation des ressources domestiques au profit du financement long. «Le rôle de la Caisse de dépôt et de gestion s’inscrit dans une logique de connexion, de sécurisation et de transformation de l’épargne réglementée, stable ou de long terme, en investissements durables et rentables», rappelle-t-il, soulignant la double exigence qui structure le modèle de l’institution: sécurité et impact.

Ce financement bilatéral permet à la CDG de soutenir des projets d’envergure – infrastructures énergétiques, réseaux structurants, habitat, aménagement du territoire – tout en consolidant sa présence dans les différents compartiments du marché des capitaux. L’objectif, selon le DG de la CDG est de déployer un capital patient capable de créer un effet d’entraînement là où le secteur privé ne peut s’engager seul. «C’est là l’essence même de notre rôle : agir comme un catalyseur, un investisseur patient au service de la transformation profonde de l’économie nationale», souligne M. Safir.

Une accélération de la délégation et une architecture ouverte

La transition opérée par la CDG s’appuie sur un outil central: la gestion sous mandat. Depuis un quart de siècle, les OPCVM constituent un pilier de la démocratisation de l’investissement et de la sécurisation de l’épargne. Mais la Caisse franchit aujourd’hui un cap supplémentaire en déléguant une part accrue de ses portefeuilles aux sociétés de gestion externes.

Ainsi, 22 milliards de dirhams sont déjà délégués, et de nouveaux appels d’offres portant sur 15 milliards de dirhams seront lancés «à très court terme». Cette dynamique marque un tournant dans une dynamique où la CDG souhaite consolider une architecture ouverte, s’appuyant davantage sur l’expertise du marché afin de concentrer ses ressources internes sur les chantiers stratégiques – projets d’infrastructures, fonds thématiques, instruments d’impact, titrisation, fonds de dette ou de projets.

Cette poussée déléguée s’inscrit aussi dans une logique d’assainissement de l’écosystème. La Caisse entend , ainsi renforcer la transparence, la performance et la compétitivité dans la gestion d’actifs, en coopération étroite avec un secteur aujourd’hui jugé «mature» par son directeur général.

Khalid Safir souligne cependant une limite structurelle: près de 80% des ressources collectées par les fonds demeurent investies en titres du Trésor. Ce biais, qui traduit la prudence des investisseurs institutionnels, mais aussi l’insuffisante profondeur du marché actions et du financement de projets, freine la transformation de l’épargne en capital productif.

Pour répondre à cet enjeu, la CDG multiplie les innovations: fonds de dette, véhicules de titrisation, fonds de projets, instruments hybrides capables de sécuriser les rendements tout en finançant des actifs productifs à long terme. «Pour que le marché des capitaux joue pleinement son rôle de moteur de croissance, il est nécessaire de poursuivre l’innovation et de créer de nouveaux mécanismes adaptés aux besoins des investisseurs», insiste-t-il.

Cette stratégie se double d’une ambition plus large: élargir la base des investisseurs. Avec à peine 25.000 investisseurs actifs, la Bourse de Casablanca reste sous-dimensionnée par rapport aux besoins de financement du pays. La culture boursière demeure embryonnaire, tandis que l’économie marocaine continue de reposer majoritairement sur le crédit bancaire – à rebours des standards observés dans les économies avancées, où les marchés de capitaux absorbent une part considérable du financement long.

Développer l’actionnariat pour diversifier les risques

Dans son intervention, le directeur général de la CDG rappelle qu’un marché trop centré sur la dette – en particulier souveraine – limite l’innovation, bride l’investissement privé et maintient une allocation du capital peu efficiente. La CDG ambitionne d’orienter une part croissante de l’épargne vers les actifs risqués mais stratégiques: fonds actions, véhicules thématiques (infrastructures, transition énergétique, technologies industrielles), financement des PME et des entreprises à fort potentiel.

Cette perspective nécessite toutefois une adaptation continue des cadres réglementaires, une montée en compétence des gestionnaires et une pédagogie renforcée auprès des investisseurs particuliers. La mobilisation de l’épargne domestique demeure ainsi au cœur de la stratégie Cap 2030.

À cette vision structurante de la CDG répond, en miroir, l’analyse de Younes Bouchelkha, représentant de l’Office des changes, institution clé dans la construction d’un marché financier plus ouvert. Il rappelle que la libéralisation progressive du régime de change s’inscrit dans une dynamique articulée à l’essor du marché des capitaux. Le dispositif mis en place au cours des dernières années vise à offrir aux investisseurs institutionnels un cadre fluide, modernisé et sécurisé pour les placements internationaux.

Les réformes les plus significatives concernent les OPCVM, OPCC et OPCI. Désormais, les souscriptions en devises peuvent être investies intégralement à l’étranger, tandis qu’une quote-part – autour de 10% – peut être allouée à des actifs internationaux même lorsque la souscription est effectuée en dirhams. Cette disposition constitue un pas majeur vers la diversification des portefeuilles et l’intégration graduelle du Maroc aux marchés financiers internationaux.

Un dispositif harmonisé et une flexibilité accrue pour les investisseurs

Le cadre rénové prévoit également l’instauration d’un compte en devises domicilié au Maroc pour les véhicules d’investissement. Ce compte permet de gérer de manière fluide l’ensemble des mouvements autorisés par la réglementation des changes: investissements, transferts, remboursement de dettes ou rapatriement de dividendes.

Le responsable souligne que ce mécanisme, encore sous-exploité, ouvre la voie à une captation plus importante de l’épargne des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Le statut quasi équivalent des comptes convertibles et non convertibles à celui des non-résidents constitue un levier d’attractivité dont l’impact potentiel est significatif. Il en va de même pour les MRE ayant transféré leur résidence fiscale hors du Royaume et pour les détenteurs d’avoirs issus des précédentes opérations d’amnistie de change.

L’Office des changes se dit également disposé à étudier des pistes d’évolution complémentaires, en lien étroit avec l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Bank Al-Maghrib et le ministère des Finances. L’ambition est claire: accompagner l’approfondissement du marché des capitaux, renforcer la fluidité opérationnelle, élargir la gamme des produits financiers éligibles et accroître la place de l’épargne domestique et internationale dans le financement de l’économie marocaine.

Dans cette logique, les réformes engagées convergent vers un même objectif: réduire la dépendance de l’économie au financement bancaire, augmenter la part de financement de marché et soutenir l’orientation croissante de l’épargne vers des projets productifs et durables.

Les deux interventions convergent vers un diagnostic commun: le Maroc dispose d’un socle solide – stabilité macroéconomique, réformes structurelles, marché des fonds en croissance, montée en puissance des investisseurs institutionnels – mais doit désormais accélérer dans trois directions: approfondir le marché des capitaux, en diversifiant les instruments et en développant l’actionnariat, mobiliser davantage l’épargne nationale et accroître l’ouverture maîtrisée du régime de change, afin de faciliter la diversification des portefeuilles et attirer l’épargne internationale.

La CDG se positionne comme un catalyseur d’investissement long, tandis que l’Office des changes œuvre à fluidifier et sécuriser l’environnement réglementaire. Cette convergence institutionnelle constitue l’un des leviers majeurs pour financer les grands projets d’infrastructures, d’énergie, d’industrie et d’innovation qui dessineront le Maroc à horizon 2030. Les chantiers sont vastes, mais les fondations réglementaires, financières et organisationnelles semblent désormais mieux alignées qu’elles ne l’ont jamais été.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 13/11/2025 à 13h21