Face aux députés, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a exposé les principaux axes des politiques publiques en faveur de l’entreprise, en mettant l’accent sur les très petites, petites et moyennes entreprises, qui représentent la majorité du tissu productif national. Cependant, la politique de soutien, articulée autour de la commande publique, du financement et de l’accompagnement territorial, s’inscrit dans un contexte économique marqué par une dégradation continue de la démographie entrepreneuriale, telle que reflétée par les données disponibles.
Le nombre de défaillances d’entreprises au Maroc a atteint 15.658 en 2024, en hausse de 10% sur un an, selon les chiffres recueillis auprès du spécialiste marocain de l’information légale et financière Inforisk. Cette dynamique prolongée suggère une fragilité persistante du tissu économique, particulièrement prononcée parmi les structures de petite taille, qui concentrent l’essentiel des sorties du marché.
Dans son intervention, le chef du gouvernement a rappelé que les TPME constituent l’ossature de l’économie marocaine et un levier central de création d’emplois, notamment à l’échelle territoriale. Ces entreprises représentent plus de 90% des unités économiques actives et concentrent l’essentiel de l’emploi déclaré, ce qui justifie, selon l’exécutif, leur positionnement prioritaire dans les politiques publiques d’investissement et d’emploi.
La commande publique figure au cœur de cette stratégie. Le gouvernement met en avant la réservation de 30% des montants programmés au profit des TPME, une mesure destinée à élargir leur accès à la demande publique et à corriger une concentration historique des marchés, une orientation qui s’inscrit dans le cadre du nouveau pacte de l’investissement et vise une meilleure répartition régionale des projets et une gouvernance territorialisée de l’investissement. À ces dispositifs s’ajoutent des subventions à l’investissement pouvant atteindre, selon les cas, jusqu’à 30% du montant global éligible. Ces aides ciblent la création d’emplois durables, la réduction des disparités territoriales et le développement de secteurs jugés prioritaires. La feuille de route pour l’emploi prévoit, selon les chiffres avancés par le gouvernement, une enveloppe annuelle de 12 milliards de dirhams dédiée aux petites et moyennes entreprises.
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L’action publique revendique également une approche de proximité. À fin novembre 2025, des caravanes d’information ont été organisées dans 31 provinces et préfectures sur un total de 75. Selon les données communiquées par le gouvernement, cette démarche a abouti au dépôt de 63 dossiers d’investissement représentant un montant global d’environ 880 millions de dirhams, avec une projection de 2.200 emplois directs.
Le gouvernement souligne par ailleurs l’implication du secteur bancaire, de la CGEM et de l’Agence nationale pour la promotion de la PME, notamment à travers le programme PACTE TPME et la préparation d’un cadre contractuel État-entreprises pour la période 2025-2030. Pris dans leur ensemble, ces instruments dessinent une politique économique structurée et dotée de moyens identifiés.
L’examen des résultats observés sur le terrain économique conduit toutefois à nuancer la portée effective de ces mécanismes. Malgré les quotas affichés, la Cour des comptes dans son rapport annuel 2023–2024, dans ses observations et recommandations explicitant les difficultés pratiques pour déployer les dispositifs en faveur des TPE/PME et les limites d’application (complexité, quota non véritablement effectif, concentration des marchés), indique que seules 11% des TPE et PME bénéficient effectivement des montants alloués, et confirme l’écart entre les objectifs légaux et la mise en œuvre.
L’accès réel des TPME à la commande publique reste difficilement accessible aux petites structures, comme le rappelle une étude du cabinet Mazars pour le compte du Conseil de la concurrence qui stipulait que «certains acteurs (laboratoires, petites entreprises) demeurent en marge des marchés publics», ce qui signale que la configuration actuelle des marchés favorise de fait les gros acteurs disposant de capacités techniques et administratives. Cette concentration réduit l’effet d’entraînement attendu de la commande publique sur le tissu entrepreneurial local. Elle pèse également sur des secteurs fortement exposés à la demande publique, comme le BTP, où les petites entreprises interviennent souvent en bout de chaîne, avec des marges limitées et des délais de paiement élevés.
Les contraintes financières constituent un autre déterminant central de la fragilité des TPME. À ce titre, le rapport de l’Observatoire national sur les délais de paiement estimait, «les TPE restent en difficulté, affichant à la fois les délais clients les plus longs (130 jours) et les délais fournisseurs les plus courts (83 jours), ce qui les place en situation de financeurs nets vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux».
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À cela s’ajoute un accès restreint au financement bancaire, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt et de forte dépendance au crédit bancaire. Ainsi, une enquête BEI / UE sur l’accès au financement des PME marocaines, publiée en octobre 2025 souligne les difficultés d’accès au crédit bancaire formel pour les PME, avec des taux d’intérêt jugés peu avantageux et des exigences de garanties importantes, ainsi qu’un pourcentage significatif de refus de prêts. L’enquête révèle que 57% des PME estiment que les taux d’intérêt proposés sont trop élevés, tandis que 50% des PME pointent les garanties exigées comme un frein. De leur côté, les 15 % des PME déclarent avoir essuyé un refus de prêt bancaire.
La distribution du crédit révèle une asymétrie marquée avec des entreprises de plus de dix ans d’existence qui captent plus de 70% des financements bancaires, tandis que celles de moins de cinq ans, pourtant les plus exposées au risque de disparition, n’en reçoivent qu’environ 12%. Cette configuration est d’autant plus significative que plus de la moitié des entreprises dissoutes ont moins de cinq ans d’activité.
Aujourd’hui, la dynamique des défaillances demeure très concentrée sur les très petites entreprises, qui représentent 98,6% des cessations d’activité enregistrées en 2024. La ventilation sectorielle montre que le commerce concentre 33% des défaillances, suivi de l’immobilier (20%), du BTP (15%), du transport (9%) et de l’industrie manufacturière (7%).








