Alors que les grandes puissances affûtent leurs stratégies autour des monnaies numériques des Banques centrales (MSNBC), le Royaume avance, discrètement, mais sûrement, dans la même direction.
Dans un entretien avec le magazine Finances News, Badr Bellaj, expert en blockchain et en cryptomonnaies, explique les enjeux de cette mutation.
Le Dirham numérique ne vise pas à remplacer le Dirham physique, mais à en proposer une version électronique, échangeable instantanément via un wallet numérique.
«Une MSNBC, c’est une version électronique du cash, adossée à la monnaie nationale et émise par la Banque centrale. Elle s’inspire des cryptomonnaies en termes de technologie, notamment la blockchain, mais reste régulée et stable», a expliqué Badr Bellaj.
Contrairement à la monnaie scripturale (liée à un compte bancaire), la MSNBC permet des échanges directs entre individus ou entités, sans passer par les banques commerciales, tout en étant encadrée légalement.
Dans le Royaume, c’est Bank Al-Maghrib qui sera en charge de l’émission et de la régulation, dans le cadre d’un projet de loi en cours d’élaboration.
Si la monnaie change de forme, elle garde la même valeur: «un Dirham numérique vaut un Dirham physique. Ce qui change, c’est le format, pas la valeur», insiste l’expert.
Techniquement, le système reposerait sur un réseau de blockchain distribué, avec des smart contracts pour automatiser et sécuriser les transactions.
«La blockchain permet un enregistrement infalsifiable et traçable des transactions, avec une validation quasi-instantanée. Cela supprime de nombreux intermédiaires et accélère les échanges», a précisé Bellaj.
Cette architecture numérique permettrait aussi de programmer certaines fonctions monétaires, comme des aides ciblées ou des plafonds d’usage.
L’amalgame entre cryptomonnaies et monnaies numériques de Banques centrales est fréquent, mais erroné.
«Le Dirham numérique sera stable et régulé. Ce n’est pas une cryptomonnaie comme le Bitcoin, dont la valeur fluctue selon l’offre et la demande et qui n’est contrôlée par aucune autorité», a souligné l’expert.
L’objectif est clair: bâtir un outil monétaire sécurisé, traçable et inclusif, sans les effets spéculatifs ni la décentralisation extrême des cryptos.
Dans un pays où une partie importante de la population n’est pas bancarisée, le Dirham numérique pourrait jouer un rôle clé: «il permettrait de moderniser l’écosystème des paiements et d’inclure les citoyens non bancarisés, via des wallets accessibles depuis un simple smartphone», a estimé Bellaj.
Sur un plan géopolitique, il offre aussi des perspectives de coopération monétaire.
«Une interconnexion avec d’autres monnaies numériques africaines permettrait de créer une plateforme régionale de règlements directs. C’est une opportunité pour renforcer notre souveraineté économique», a-t-il ajouté.
Mais la diffusion d’une monnaie numérique soulève aussi des défis, notamment au niveau des frontières: «Le risque, c’est qu’un Dirham numérique circule à l’étranger hors de tout contrôle, ce qui pourrait fragiliser notre politique de change», a prévenu cet expert.
D’où l’importance d’un encadrement juridique strict et d’un contrôle technologique robuste.
Le Royaume n’est pas seul dans cette aventure: plusieurs pays, comme la Chine ou le Nigeria, ont déjà lancé des MSNBC.
«L’expérience nigériane du E-Naira montre que la technologie ne suffit pas. Sans incitations concrètes, sans intégration aux usages quotidiens et sans confiance dans les institutions, l’adoption reste faible», a analysé Bellaj.
Au Nigeria, après deux ans, moins de 0,5% de la population utilise la MSNBC, malgré une forte inflation et une crise de liquidité.
En cause, des restrictions excessives, l’absence d’avantages pour les usagers et le déficit de communication.
«Ce cas montre qu’un projet mal calibré peut échouer, malgré une bonne intention», a jugé l’expert.
Enfin, un Dirham numérique offrirait à Bank Al-Maghrib de nouveaux instruments de politique monétaire.
En cas de crise, la Banque centrale pourrait injecter directement de l’argent dans les wallets des citoyens, stimulant ainsi l’économie de manière plus rapide et ciblée. Mais Bellaj a insisté sur un point essentiel: «Il faudra veiller à ne pas fragiliser les banques commerciales, qui jouent encore un rôle important dans le financement de l’économie. Un équilibre devra être trouvé entre innovation, et stabilité».
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