Croissance, inflation, productivité… 2022 sera-t-elle l’année du rebond de l’économie marocaine?

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Deux ans après le début de la crise sanitaire, l'activité économique nationale a montré ses premiers signes de redressement. Dans cette interview avec Le360, Abdelaziz Ait Ali, économiste senior au Policy Center for the New South, analyse la conjoncture économique au Maroc et livre ses recommandations pour booster la croissance.

Le 27/01/2022 à 08h11

Le360 - En 2021, la croissance de l’économie nationale a dépassé les 7%, 2022 marquera-t-elle la fin de la crise économique?Abdelaziz Ait Ali - D’après les dernières estimations du HCP, le Maroc devrait clore l’année 2021 avec un rebond significatif de la croissance à 7,2%, soit un des taux les plus élevés de l’histoire récente de l’économie marocaine. Cette performance n’est, bien évidemment, pas sans lien avec la contraction sévère de l’activité économique observée en 2020 et qui a essuyé la dynamique positive cumulée sur deux exercices. Il reste toutefois que les 7,2% permettent de rattraper totalement les pertes économiques de cette crise inédite et -espérons-le- de poser le Maroc au moins sur la trajectoire d’avant-crise.

Pour l’année 2022, les spéculations des institutions nationales et internationales tablent quasiment toutes sur un retour de l’économie marocaine à son palier de croissance d’avant-Covid-19, aux alentours de 3,5%, indépendamment de la performance du secteur agricole. La question qui se pose à ce stade est de savoir si l’économie marocaine sortira indemne de cette crise et arrivera à tirer son épingle du jeu dans un contexte économique incertain et en rupture avec la période d’avant-Covid. 

Pourrions-nous dire que cette année, qui débute, sera l’année du rebond de l’économie marocaine?Les premiers signes sont globalement positifs. Le secteur manufacturier destiné à l’exportation est non seulement parvenu à limiter les dégâts, mais aussi à consolider son positionnement sur les marchés mondiaux. Je fais allusion ici au secteur de l’automobile et au secteur chimique, en particulier, qui se positionnent comme locomotives des exportations marocaines vers les marchés mondiaux. En 2020, il faut le rappeler, le marché mondial de l’automobile s’est contracté d’environ 15%, alors que la contreperformance du secteur domestique s’est limitée à près de 5%, ce qui implique que le secteur a vu sa part de marché à l’international se renforcer. Tout le monde espérait seulement amorcer un retour en douceur vers l’état d’équilibre de 2019. Le Maroc a fait mieux. Il a gagné des parts de marché.

L’année 2021 est encore plus prometteuse dans ce sens, avec une croissance des exportations à deux chiffres, bien supérieure à la croissance encore timide du marché mondial de l’automobile, située probablement entre 3 et 4%. Le bémol c’est au niveau des activités touristiques qui peineront toujours avant que la vie reprenne son cours normal. Nous n’avons pas besoin de revenir aux statistiques dans le secteur pour comprendre que la crise continue de sévir et de coûter au Maroc des milliards de dollars chaque année.

Ainsi, le thermomètre de la normalisation de l’activité économique est, à mon avis, le secteur du tourisme et tant que celui-ci est loin de sa trajectoire d’avant-crise, il sera encore précoce de parler de la fin de la crise. Rappelons que c’est un des secteurs les plus importants pour l’économie marocaine, en termes d’emplois, de devises et d’effet d’entraînement sur le reste de l’économie. Tout le défi sera d’éviter un effet domino et un écroulement d’un nombre d’opérateurs dans le secteur, au risque de compromettre la normalisation –inéluctable- de l’activité économique et sociale. 

Nous sommes ainsi en face d’une déformation de la reprise économique, s’appuyant davantage sur le secteur agricole et manufacturier et, dans une moindre mesure, sur les activités tertiaires. Du côté de la demande, il est clair que l’effort d’investissement restera entaché par le climat d’incertitude et sera le dernier à «s’investir» dans la relance de l’activité économique.

D’après-vous quels sont les véritables freins à la croissance au Maroc aujourd’hui? Si j’aborde la croissance dans sa dimension conjoncturelle, il va sans dire que la poursuite des efforts de vaccination de la population est un élément crucial dans la stratégie de relance économique, à même d’épargner aux décideurs cet arbitrage délicat entre la préservation de la vie humaine et la normalisation de l’activité économique. La reprise demeure également tributaire de facteurs, hors de portée. L’évolution de la pandémie à l‘international est sensiblement l’élément qui conditionne la dynamique économique du pays. Tant que la pandémie n’est toujours pas sous contrôle et que le monde n’a pas tourné la page ou accepté de cohabiter avec ce virus, les activités économiques, à différents degrés, ne peuvent pas opérer à plein régime. 

Sur le long terme, la croissance est manifestement une problématique de capital humain. Les études se suivent et se ressemblent dans leurs conclusions. Le Maroc ne peut assurer son décollage économique, sans un capital humain en mesure de relever les défis de la transformation économique. Je ne fais pas allusion ici à la transition numérique ou les technologies de demain et la capacité du Marocain à les maîtriser. Malheureusement, nous ne sommes pas arrivés à ce stade, bien qu’essentiel pour le devenir du pays. Les carences du capital humain sont, à mon avis, encore plus rudimentaires. 

Les enquêtes sur le niveau de maîtrise des acquis scolaires, surtout en langues, mathématiques et sciences démontrent que nos élèves sont loin de satisfaire aux exigences minimales et sont déclassés à l’échelle mondiale. Notre pays est conscient que le nerf de la guerre est bien évidemment le capital humain et toute stratégie de croissance passera nécessairement par une réforme du secteur de l’éducation, sans oublier celui de la santé également, ce qui permettra à nos écoliers d’acquérir les compétences de base.

Comment booster alors la productivité du pays pour passer à un nouveau palier de croissance? En fait, la productivité est au cœur de tout processus de croissance, de convergence économique d’un pays et d’amélioration du bien-être. Au Maroc, la croissance est restée pendant longtemps un phénomène extensif, puisqu’il s’est appuyé sur l’accumulation des facteurs de production. Comme vous le savez, l’économie marocaine se positionne parmi le peloton de tête des économies qui dédient des ressources considérables à l’effort d’investissement. Il fallait en fait rattraper le retard de l’économie marocaine sur ce plan et asseoir les conditions favorables pour le décollage économique.

Si je prends l’exemple des infrastructures de transport, le classement du Forum économique mondial situe le Maroc à la 53e position. Sur certaines rubriques, le Royaume fait mieux que certains pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment en ce qui concerne les liaisons maritimes où le Maroc est 17e, devant le Portugal et le Canada. 

On peut clairement reconnaître que les autorités ont globalement réussi à relever le défi de l’infrastructure. Toutefois, le pays est à un stade critique de son processus de développement et il est temps de repenser cette stratégie d’investissement dans l’infrastructure et assurer cet équilibre entre, d’une part, l’investissement dans l’infrastructure basique synonyme de décloisonnement des zones du pays les plus marginalisées et, d'autre part, l’investissement dans l’infrastructure avancée, à savoir les technologies de l’information, l’internet à haut débit, etc. que tout le monde s’accorde à qualifier de véritable gisement de croissance pour les économies à revenu intermédiaire, dont le Maroc. Je vous renvoie à un ouvrage publié par le Policy Center sur l’intérêt de repenser notre modèle d’investissement au profit notamment de l’infrastructure avancée.

Quels devraient être les secteurs prioritaires pour accompagner ce développement ?Pour les priorités sectorielles, je ne vous cache pas que je ne suis pas adepte de la verticalité accentuée de la politique industrielle ou des politiques publiques en général. Je conçois la croissance et le développement comme un processus global, endogène et transverse qui ne peut s’appuyer sur un secteur en particulier. 

Nous pouvons, bien évidemment, faire de notre avantage comparatif sur des niches de produits des vecteurs de projection sur le marché international, mais il n’en demeure pas moins que la croissance ne peut s’auto-entretenir que si l’ensemble des activités économiques montent vers un palier de croissance plus élevé. Pour ce faire, il est important de concevoir des politiques publiques à portée horizontale qui viennent compléter les politiques sectorielles déjà en vigueur. L’éducation, la santé, le climat des affaires et la gouvernance sont tous des champs d’action de la politique publique qui peuvent agir sur tous les secteurs économiques et soutenir les gains de productivité. 

Je saisis l’occasion pour revenir aux critiques ravivées avec le Covid-19 à l’encontre du choix des pouvoirs publics de faire du secteur touristique un de ses leviers de croissance. Le tourisme finira par revenir à sa situation normale, tôt ou tard. Il est créateur de plus d’un million d’emplois dans sa globalité, représente près de 7% du PIB et génère autant quasiment en devises. Je crois fermement que le secteur est un pari gagnant pour notre pays et il ne faudrait pas, sur la base d’un épisode aussi inédit, contester fondamentalement ce choix stratégique.

Comment jugez-vous le niveau d’inflation au Maroc et son impact sur l’économie nationale?L’inflation au Maroc est passée au terme de 2021 à 3,2%, en nette accélération par rapport à l’année 2020. Pour retrouver ces niveaux, il faut remonter à 2012. Entre-temps, l’inflation est restée contenue à des niveaux très faibles. Avec les tensions observées sur les marchés mondiaux des matières premières et les perturbations des chaînes de valeur mondiales, l’économie marocaine n’a pas pu y échapper, car il s’agit d’une économie ouverte, dont le commerce avec le reste du monde avoisine 90% du PIB. 

D’ailleurs, la dynamique de l’inflation des produits échangeables se distingue par son rythme d’évolution soutenu par rapport à celle des produits non échangeables. De même, les produits transformés, faisant souvent l’objet de commerce international, ont connu une augmentation notable de leurs prix, comparativement aux services ou même des produits non transformés. C’est pour dire que l’inflation est pour l’instant un phénomène importé et ne s’est toujours pas transformé en une vague bien installée sur tous les marchés. 

Le niveau d'inflation exige-t-il une intervention?Le niveau actuel de l’inflation est clairement plus élevé que la moyenne des dix dernières années au moins, mais je ne pense pas que ça soit problématique pour l’économie marocaine. L’inflation a la particularité d’être persistante, dans la mesure où sa dynamique reste très ancrée sur son évolution historique et au Maroc, l’inflation ne s’est jamais posée avec acuité. Une moyenne de 2% sur le très long terme témoigne en fait de la stabilité des prix, très installée dans l’économie marocaine et capable de rassurer les opérateurs économiques nationaux sur sa trajectoire de long terme qui ne dérogera vraisemblablement pas à la moyenne historique. 

A l’international, 2022 sera l’année du dénouement et le retour de l’inflation à des niveaux plus faibles. Au Maroc, aussi, les institutions nationales tablent sur un ralentissement de l’inflation à des niveaux plus conformes avec la moyenne de long terme. Ceci dit, on restera toujours dépendants des conditions économiques mondiales mais, a priori, le pire est derrière nous. 

Quant à l’impact de l’inflation sur le tissu économique national, l’inflation, comme chacun sait, affecte négativement le pouvoir d’achat des ménages, surtout des plus démunis, et agit comme une taxe sur le revenu. Il impacte également l’investissement dans le pays en question et entache les perspectives économiques. Mais à ce stade, avec le caractère globalement transitoire de cette dernière, il n’y a pas lieu de trop s’inquiéter.

Par Safae Hadri
Le 27/01/2022 à 08h11