Alors que les économies mondiales sont encore en convalescence, l’apparition du variant Omicron assombrit les perspectives de croissance. L’ampleur du choc reste toutefois difficile à évaluer pour le moment, au vu d’une part, des incertitudes concernant le degré de dangerosité et de propagation du variant et, d’autre part, de la nature des mesures restrictives qui seront prises par les gouvernements.
Pour l’économiste Yasser Tamsamani, sollicité par Le360, «une révision à la baisse des perspectives de la croissance de l’économie mondiale est fort probable», mais deux éléments laissent présager que le variant Omicron aura un effet moins perturbateur que ce qu’on a connu lors des premières vagues de la pandémie de Covid-19, en 2020.
Le premier concerne la réponse des laboratoires à l’apparition du variant. Plusieurs d’entre eux ont d’ores et déjà indiqué qu’ils étaient en mesure de développer un éventuel nouveau vaccin plus rapidement. Le second concerne la réponse économique des gouvernements: «les Etats ont désormais une capacité d’adaptation non négligeable et ont appris, théoriquement, à gérer ce genre de phénomène, ce qui peut amortir les dégâts possibles sur l’activité économique. Les Etats ont acquis une certaine résilience, grâce à un apprentissage par la pratique, à la fois au niveau sanitaire et au niveau économique», analyse Yasser Tamsamani.
«Croissance faible, inflation élevée», un couple infernalCela étant dit, l’économiste pointe un phénomène qu’il faudra surveiller de près dans les prochaines semaines: il s’agit d’un effet ciseau, avec d’un côté une croissance qui va ralentir probablement, et de l’autre, une hausse des prix. «S’il y a des scénarios à établir suite à une nouvelle vague épidémique, c’est au niveau de l’effet des restrictions sanitaires potentielles sur ce couple-là: croissance et inflation», explique-t-il.
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«Si pour le sort de la croissance le tour est plus ou moins joué, ce n’est pas le cas pour l’inflation, dont l’évolution future dépendra de la nature des mesures restrictives qui vont être prises en cas d’une nouvelle vague. Deux scénarios sont possibles: le premier, catastrophique, serait que les prix restent élevés avec un renforcement des pressions inflationnistes. Un tel scénario se produirait si demain les restrictions affectent davantage l’offre, c’est-à-dire les conditions de production (des restrictions au travail, des perturbations au niveau des chaînes de valeur et de la logistique, etc.). Dans ce cas, il faut s’attendre à ce que les pressions inflationnistes se renforcent, resserrant la vis sur la croissance et renfermant les économies, le temps de la pandémie, dans un piège de croissance faible et d’inflation élevée», analyse l'économiste.
Selon Yasser Temsamani, «l’autre scénario, plutôt souhaitable, serait que le choc engendré par les restrictions mises en place suite à la nouvelle vague touchent davantage la demande (salaires et pouvoir d’achats des ménages notamment). Dans ce cas, la baisse de la demande produirait une stabilisation des prix, qui, ensuite, temporiserait le ralentissement initial de la croissance».
En résumé, «cela dépendra en fin de compte de la nature des restrictions qui seront imposées en cas de propagation du nouveau variant. Ces restrictions toucheront-elles davantage la demande ou l’offre? Au final, lorsque les décideurs devront réfléchir aux restrictions à mettre en place, pour deux restrictions qui ont un effet sanitaire égal, il est préférable, dans la conjoncture actuelle, de choisir celle qui relativement affecte plus la demande que l’offre». Cela dit, des mesures d’accompagnement aux ménages touchés par les restrictives sanitaires doivent être mises en place pour alléger le prix à payer d’une sortie rapide de la crise, correspondant au deuxième scénario, précise l’économiste.
Et le Maroc dans tout ça?Pour cet économiste, cette analyse qui porte sur le couple croissance-inflation reste valable dans le cas du Maroc, à deux nuances près. La première est que l’inflation au Maroc est historiquement contenue pour des raisons structurelles, en lien notamment avec la nature du marché du travail, le poids de l’informel, etc. Ça serait une erreur d’attendre qu’elle atteint des niveaux similaires en Europe ou aux USA pour réagir. «Une augmentation d’un demi-point d’inflation au Maroc ne vaut pas une hausse d’un demi-point de l’inflation en Europe. Cela ne traduit pas les mêmes tensions sur l’économie», observe Tamsamani.
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Le deuxième bémol concerne la vigueur de la croissance marocaine prévue en 2022. «La loi de finances 2022 table sur une croissance de 3,2%. Il faut une croissance d’au moins 3,5% pour espérer faire baisser le stock du chômage. En dessous, on maintient la situation telle qu’elle est, ce qui n’est pas très fameux. Une révision à la baisse de la prévision de croissance pour 2022 risque de faire mal», soutient-il.
Par ailleurs, ajoute-t-il, tous les secteurs ne seront pas touchés de la même manière. Si les secteurs des télécoms et des services à la personne peuvent profiter de ce choc, le secteur du tourisme en revanche, fait figure de grand perdant, d’autant que ce secteur réalise une bonne partie de son chiffre d’affaires durant les fêtes de fin d’année. «Les opérateurs de ce secteur vont prendre un coup, sauf si on arrive à dynamiser une offre destinée aux touristes locaux et accompagner cela par des mesures incitatives à la demande», estime Yasser Tamsamani.
Quoi qu’il en coûte?Reste à savoir si les autorités budgétaires et monétaires marocaines disposent encore de suffisamment de cartouches pour faire face à un éventuel choc sur l’économie, après 20 mois de gestion de crise qui ont provoqué une très forte hausse des dépenses de l’Etat, et une détérioration des équilibres macroéconomiques.
Sur ce point, notre interlocuteur se montre partisan du concept de «quoi qu’il en coûte»: «l’Etat a toujours les moyens de faire face à des chocs et des situations économiques difficiles», affirme-t-il, ajoutant qu’il ne faut pas «diaboliser l’endettement public». «Un Etat social, un terme beaucoup utilisé ces derniers temps, c’est justement un Etat qui fait face à toutes les crises et supporte leurs coûts».
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Des pistes de financement ne manquent pas, selon Tamsamani, qui cite à cet égard, bien sûr davantage d’endettement, mais également une révision du système fiscal, la réduction des niches fiscales, l’imposition du transfert du patrimoine, ou encore la création d’une vraie banque publique d’investissement.
Dès lors, se pose la question de savoir «ce que l’on a retenu des vagues précédentes». «L’Etat s’est beaucoup impliqué, certes, mais en tant qu’observateur, je peux dire que nous n’avons pas appris grand-chose. Nous avons très peu d’évaluation d’impacts des mesures prises pendant les vagues précédentes», estime-t-il.
Il en veut pour exemple celui des prêts garantis par l’Etat, notamment «Damane Oxygène» et «Damane Relance» pour aider les entreprises à surmonter la crise. «La loi de finances 2022 a prévu un nouveau programme de prêts garantis, mais nous n’avons à ce jour aucune évaluation ou retour d’expérience des programmes précédents qui ont mobilisé plus de 50 milliards de dirhams de prêts garantis à plus de 80% par l’Etat», indique-t-il. Or, poursuit-il, «ces prêts peuvent avoir des effets d’aubaine pour certaines entreprises et des effets pervers pour d’autres. Le bon sens aurait voulu que l’on évalue d’abord l’efficacité de ce programme».
En conclusion, «au début de mon analyse, je disais que les pays ont appris à mieux gérer les crises. Le Maroc aussi, mais un peu moins que les pays développés qui, eux, ont une vraie culture d’évaluation des politiques publiques». Et puis, s'interroge-t-il, «comment peut-on mobiliser à l’avenir les travailleurs de la première ligne durant le confinement (personnel de la santé, éboueurs, caissières, etc.) après une telle ingratitude collective, ainsi que de la part des autorités publiques en particulier, qui se manifeste à travers le maintien des mêmes modalités de valorisation de leur travail?».