La dernière sortie du président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Chakib Alj, a été pour le moins surprenante. Le 15 décembre, devant un parterre de journalistes, le patron des patrons s’est montré très critique envers le gouvernement et son projet de loi de finances qui «répond partiellement aux aspirations», «renvoie un message mitigé au monde de l’entreprise» et, pis encore, «peut remettre en question des décisions et intentions d’investissement». Chakib Alj est même allé jusqu’à pointer une «lenteur des réformes», accusant le gouvernement de ne pas avoir honoré ses engagements, citant à ce titre la réforme du Code du travail, la loi sur la grève, la simplification des procédures administratives, etc.
Les propos de Chakib Alj ont surpris non seulement par leur ton, reflétant une volonté d’en découdre avec l’exécutif, mais aussi surtout par le timing choisi pour dresser un jugement aussi sévère, sans concession, sur le bilan à mi-mandat du gouvernement Akhannouch. Pourquoi la CGEM a-t-elle attendu la fin du processus d’approbation du budget 2024 pour faire entendre sa voix et révéler au grand jour son insatisfaction à l’égard du PLF? À aucun moment ce sentiment de déception n’a été décelé chez les représentants du patronat, y compris les membres du groupe CGEM à la Chambre des conseillers, lors de la discussion du PLF au Parlement, ni en commission, ni en séance plénière. Quelle mouche a donc piqué le numéro un de la CGEM pour «cracher dans la soupe» et «retourner sa veste» contre celui qui a été d’un grand soutien au duo Chakib Alj-Mehdi Tazi lors des élections de janvier 2020, puis en mai 2023, comme aiment à le rappeler certains observateurs de la chose patronale?
Le gouvernement au chevet des entreprises
Les propos de Chakib Alj ont visiblement piqué au vif le chef du gouvernement. Hier mardi au Parlement, celui-ci a profité de la séance plénière consacrée aux questions orales mensuelles pour rappeler au président de la CGEM ses quatre vérités et énumérer les sacrifices du gouvernement pour soutenir le tissu entrepreneurial marocain. «La pandémie a mis un coup d’arrêt violent à l’économie. Malgré un contexte difficile, marqué par une baisse des recettes, une réduction du budget de l’investissement public de 40 à 50%, le gouvernement a alloué plus de 20 milliards de dirhams pour régler les arriérés de crédits TVA aux entreprises. Nous n’avons pas été très lents. Nous avons été réactifs et rapides», a lancé Aziz Akhannouch.
Le chef du gouvernement a évoqué également les mesures introduites en 2022 pour venir en aide aux entreprises du BTP qui avaient du mal à honorer leurs engagements contractuels dans le cadre des marchés publics (prix, délais d’exécution), en lien avec la hausse des prix des intrants, l’explosion du coût du fret maritime et la pénurie des matières premières sur le marché international. «Une commission interministérielle a travaillé dur pendant deux semaines, y compris le samedi et le dimanche, pour sortir la circulaire. Nous n’avons pas été très lents. Nous avons été rapides», a-t-il souligné.
Et de poursuivre: «Pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens, nous avons, entre autres mesures, maintenu inchangés les prix de l’électricité et du gaz butane. Cela a coûté plus de 40 milliards de dirhams, un montant que le gouvernement a déboursé, alors que certains intellectuels politiques réclamaient une loi de finances rectificative.»
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Aziz Akhannouch n’a pas manqué d’évoquer l’adoption de la nouvelle Charte de l’investissement «après 60 ans de débat», la réforme des marchés publics consacrant le principe de la préférence nationale (le seuil maximum dédié aux entreprises marocaines devient un seuil fixe à caractère obligatoire), la simplification des procédures (le silence de l’administration pendant 60 jours vaut accord), la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO) qui offre de nouvelles opportunités d’investissement (ouvertures de cliniques privées), l’aide sociale directe qui va améliorer le pouvoir d’achat et la consommation, le soutien apporté au tourisme et au transport aérien qui a permis au Maroc d’attirer cette année un nombre record d’arrivées, soit 13,2 millions de touristes à fin novembre, etc.
«Jamais, dans un ancien gouvernement, on n’a vu un chef d’entreprise se plaindre alors que le budget de l’investissement est réduit de moitié. Comment peut-on parler de lenteur alors que le budget de l’investissement, malgré toutes ces contraintes, a augmenté pour atteindre 350 milliards de dirhams?», s’est étonné Aziz Akhannouch.
«Là où on a tardé peut-être, c’est de ne pas avoir augmenté le prix de l’électricité aux entreprises. Les tarifs appliqués au Maroc sont inférieurs de moitié à ceux proposés par certains pays voisins. L’État a pris en charge la différence pour justement préserver la compétitivité des entreprises», a ironisé le chef du gouvernement.
Un conseil d’administration sous haute tension
Notons que lors de la séance des questions orales de ce mardi, l’absence du président du groupe CGEM à la Chambre des conseillers, Youssef Alaoui, a été remarquée. Le même jour, comme pour marquer ses distances avec le chef du patronat, dans un entretien accordé à nos confrères de Médias24, celui-ci a salué le sens de l’écoute du ministère des Finances, de la Direction générale des impôts (DGI) et de la douane, appelant à «s’inscrire sur la durée du mandat du gouvernement qui, chaque année, élargit progressivement l’assiette et, en parallèle, réduit tout aussi progressivement les taux d’imposition».
La sortie intempestive du patron des patrons ne va certainement pas passer inaperçue. Plusieurs fédérations membres de la confédération patronale désapprouvent la méthode utilisée par le duo Chakib Alj-Mehdi Tazi pour défendre les intérêts des entreprises lors des négociations autour du PLF 2024. C’est pourquoi la prochaine réunion du conseil d’administration de la CGEM, prévue ce jeudi 21 décembre, promet d’être houleuse. Surtout que Chakib Alj a réservé une surprise aux administrateurs, en faisant appel à un invité de marque, qui n’est nul autre que Fouzi Lekjaâ, l’artisan du budget 2024.