Banque privée au Maroc: moins de 22.000 personnes disposent de plus de 1,5 million de dirhams d’actifs financiers

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Le segment de la banque privée au Maroc se développe à grande vitesse, mais peine encore à faire le plein d'une clientèle fortunée. Une étude du cabinet Ailancy basée à Casablanca dévoile les enjeux de ce marché à la fois prometteur et très lucratif.

Le 28/09/2020 à 08h26

Au Maroc, les établissements bancaires se sont quasiment tous dotés d’une banque privée, offrant des services premium à leurs clients les plus fortunés. Outre un service personnalisé, les banques privées, ou private banking, proposent une gamme de services autour de la gestion de patrimoine, allant de l’assistance fiscale et successorale, aux propositions d’investissements sur mesure pour leurs clients les plus fortunés.

Ces dernières années, les banques marocaines ont déployé de grands moyens pour renforcer ce segment de marché très profitable. Les locaux de ces structures bancaires sont devenus de véritables écrins de luxe et rivalisent d’opulence et de confort, alors qu'au même moment, les banques se livrent une concurrence acharnée pour attirer dans leur giron les plus grosses fortunes du Royaume et, surtout, les fidéliser.

Il faut dire que la taille de ce marché fort rémunérateur est relativement restreinte au Maroc. Bien que le nombre de clients au sein des différentes banques privées de la place soit l’un des secrets les mieux gardés du secteur, le cabinet Ailancy*, spécialiste des problématiques du secteur financier, a mené une étude statistique pour évaluer le nombre de clients éligibles à une banque privée au Maroc. L’étude s’est également attachée à comprendre les profils concernés et de quelle manière les banques privées marocaines tentent de les attirer. 

Il faut d'emblée rappeler que chaque banque dispose de ses propres conditions d’éligibilité, et pour la plupart des établissements bancaires, c’est le «stock» d’actifs financiers qui est pris en compte.

«On peut considérer qu’un client disposant de 1,5 millions de dirhams d’actifs financiers est un seuil bas représentatif de ce qui se fait sur la place», explique, pour Le360, Frédéric Philibert, associé Ailancy et directeur général au bureau de Casablanca.

L’étude du cabinet Ailancy estime, qu’au Maroc, il existe entre 20.000 et 22.000 personnes disposant de plus de 1,5 million de dirhams d’actifs financiers (compte courant, épargne, action, obligations etc.) sur leurs comptes bancaires.

Les clients des banques privés, se distinguent en quatre segments principaux, détaille notre interlocuteur -d’autres segments étant parfois créés en fonction des cibles prioritaires des établissements: on retrouve les entrepreneurs, les professions libérales, les cadres dirigeants, et les rentiers, disposant d'un patrimoine. Mais les profils de clientèles au sein même de ces segments sont très disparates, en particulier au Maroc.

S’applique ensuite une sous-segmentation en fonction des actifs sous gestion. Ainsi, au-delà d’un seuil de plusieurs dizaines de millions de dirhams, ces clients sont classés en gestion de fortune. Cette clientèle est la plus recherché par les banques privées. «Ces clients très haut de gamme, génèrent beaucoup plus de revenus que les clients retails traditionnels, même ceux considérés comme haut de gamme au sein du réseau classique».

L'autre constat fait par l’étude du cabinet Ailancy est que les banques privées peinent à faire le plein. Ainsi, à l’échelle du pays, seuls 30 à 35% des clients éligibles ont des actifs gérés par la banque privée de l’établissement bancaire.

«Les clients de la banque privée sont bien évidemment traités de façon différenciée, mais encore trop de clients éligibles, 65 à 70%, restent traités comme le tout-venant dans le réseau traditionnel de la banque», estime cet expert.

Adapter les offres à la culture marocaineLes banques gagneraient à accélérer le transfert des clients de la banque de réseau vers la banque privée. «Cette clientèle est très sollicitée par la concurrence. C’est également une clientèle avertie et sensible à la qualité de service», souligne-t-il. Le transfert vers la banque privée, permet principalement, de façon offensive, un effet multiplicateur du Produit net bancaire (PNB) généré par ces clients et, de façon défensive, une meilleure rétention de cette clientèle une fois qu’une meilleure qualité de service est au rendez-vous.

Pour convaincre davantage une clientèle toujours plus exigeante, les banques privées sont aussi appelées à diversifier davantage leurs offres. «Les offres de produits entre la banque de réseau et la banque privée sont encore trop proches. Dans les pays occidentaux, les variantes en termes de produits d’investissements, financiers et d’épargne, sont très étoffés. Ce qui n’est pas le cas au Maroc, ou cela reste assez restreint», analyse Frédéric Filibert.

Selon lui, les banques privées offrent du conseil et de l’expertise pour leur clientèle, mais ces offres gagneraient à être plus larges et mieux orientés sur les aspirations des Marocains. «La créativité est de mise pour se différencier des autres banques et du modèle européen», soutient-il.

Comme l’explique l’auteur de l’étude, «il ne faut surtout pas comparer un client privée au Maroc et en Europe pour des raisons évidemment culturelles et de marché». Par exemple, dans les pays européens, l’investissement en actions est plébiscité, alors qu’au Maroc, il est plutôt délaissé, au profit notamment des investissements dans l’immobilier, le foncier ou l’agriculture.

«Le conseil et les offres co-brandés sur de l’immobilier mériterait ainsi d’être renforcés. Les marocains fortunés seraient également plus intéressés par des offres autour de l’éducation de leurs enfants, souvent à l’étranger, et des problématiques liées à l'héritage et à la transmission. Ils seront moins intéressés par de la conciergerie (au Maroc) ou du conseil en art», poursuit Filibert.

Les banque privées devraient enfin élargir la base des clients créateurs de valeur pour la banque. «Certains profils de clients au sein de la banque de réseau, sont des clients à forte valeure, parfois équivalent aux clients banque privée», indique le responsable de cette étude, qui cite les cadres supérieurs avec des salaires supérieurs à 50.000 dirhams par mois, et qui pourtant ne sont pas éligibles à la banque privée car ils ne disposent pas des minimum requis en actifs financiers.

«Cette clientèle nécessiterait d’être traitée de façon différenciée, aux standards de la banque privée. Cela a pour conséquence de modifier les critères d’éligibilités en y ajoutant des critères de flux ou de PNB. Ca a également l’avantage d’augmenter l’assiette de clients éligibles», conclut-il.

*Ailancy est un cabinet de conseil en stratégie et en transformation, spécialiste des problématiques du secteur financier et des fonctions centrales, disposant de 140 consultants répartis en deux bureaux, l'un à Paris et l'autre à Casablanca.

Par Amine El Kadiri
Le 28/09/2020 à 08h26