Le360: Bank Al-Maghrib (BAM) a quasiment déjoué tous les pronostics en abaissant son taux directeur à 2,75% contre 3% depuis quasiment plus d’un an. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle et quelle analyse en faites-vous?
Ahmed Azirar: Bank Al-Maghrib (BAM) a déjoué certains pronostics seulement. La décision était tout de même envisageable. BAM a voulu, par cette baisse mesurée, constater et consolider l’idée de désinflation. C’est important, car le volet psychologique de l’inflation est essentiel. Elle veut aussi donner au bon moment un coup de pouce à la croissance en réduisant un tant soit peu le coût d’emprunt et inciter à consommer.
Lire aussi : Bank Al-Maghrib abaisse son taux directeur à 2,75%
Pour rappel, le taux directeur est le taux d’intérêt que BAM applique aux banques commerciales pour les prêts demandés en guise de refinancement de l’économie. À l’instar des autres banques centrales, Bank Al-Maghrib base sa politique monétaire sur le taux d’intérêt. La mission principale est le maintien de la stabilité des prix.
Pour ce faire et à travers la révision régulière de son taux directeur, BAM vise à piloter l’offre de crédit, contrôler la masse monétaire et par conséquent impacter l’activité économique du pays que régule l’autre outil de politique économique conjoncturelle, à savoir la politique budgétaire, qui elle est sous la responsabilité directe du gouvernement.
«La conjoncture actuelle de désinflation incitera moins les ménages à la consommation que si on était en conjoncture de montée de l’inflation.»
— Ahmed Azirar, économiste
Il faut donc, pour le succès, une synchronisation des deux politiques, quand bien même BAM doit rester indépendante dans ses décisions. Le taux directeur influence donc les trois parties de la demande: la consommation, l’épargne et l’investissement. Les deux premières parties concernent les ménages et la troisième, les entreprises.
Justement, quel sera l’impact de cette baisse du taux directeur sur la consommation des ménages?
Bank Al-Maghrib trace une trajectoire qui, néanmoins, nécessite un délai de réaction, car l’effet incitatif visé ne s’applique pas immédiatement. Il y a aussi la réalité des finances des ménages qui n’est pas en bon état depuis la Covid-19 et l’impact de l’inflation passée, comme l’a démontrée la récente enquête du Haut-Commissariat au plan (HCP).
Lire aussi : HCP: 83% des ménages arrivent à couvrir leurs dépenses, mais difficilement pour l’écrasante majorité
Bien plus, la conjoncture de désinflation incitera moins les ménages à la consommation que si on était en conjoncture de montée de l’inflation. En effet, quand les gens anticipent une inflation, ils ont plus tendance à acheter. Et en situation de désinflation, c’est le cas inverse qui se produit. Ils réduisent leur consommation en tablant sur une poursuite de la baisse des prix.
«La baisse de l’épargne financière pourrait inciter les consommateurs à s’intéresser plus aux biens immobiliers, si les obstacles actuels liés aux prix et aux seuils d’endettement sont abaissés.»
— Ahmed Azirar, économiste
Le hic, c’est que l’épargne financière sera aussi impactée, à cause de la baisse des taux d’intérêt appliqués. Elle risque d’être découragée dans l’ensemble, mais à des degrés divers selon ses segments tels que les OPCVM et l’assurance-vie. Cette situation pourrait inciter les consommateurs à s’intéresser plus aux biens immobiliers, si les obstacles actuels liés aux prix et au seuil d’endettement sont abaissés.
Est-ce à dire que cette réduction du taux directeur pourrait favoriser une hausse des prêts et du pouvoir d’achat des consommateurs?
Concernant les prêts, oui. Les banques commerciales ont intérêt à répercuter rapidement cette baisse et encourager l’emprunt. Est-ce que les consommateurs y gagneront? Oui, si l’inflation continue à être maîtrisée et si l’emploi et la croissance reprennent. Toujours est-il qu’en cas de baisse du taux directeur, il y a mécaniquement transfert de revenus des créanciers vers les débiteurs.
Peut-on aussi s’attendre à des effets positifs pour les entreprises qui souhaitent financer leurs investissements auprès des banques commerciales?
Les entreprises demanderont assurément plus de prêts si la baisse est appliquée, et ce d’autant que le taux d’intérêt réel sera favorable, du fait que l’inflation continue son accalmie. C’est ce qui est le plus souhaité pour consolider la reprise de la croissance. Encore que l’environnement des affaires doit rester favorable notamment dans son volet géostratégique.