Il est huit heures à Nouaceur. Des bus blancs, identiques à ceux des entreprises de Midparc, viennent d’arriver devant le portail de l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA). Les jeunes en descendent un à un, calmes, concentrés. Ils portent tous la blouse bleue. Certains viennent de Fès, d’autres d’Agadir, de Meknès ou d’Oujda.
La journée s’annonce chargée. Avant de rejoindre les ateliers, les stagiaires commencent par une réunion. Autour d’un formateur, ancien technicien aéronautique, le ton est à la fois posé et professionnel. On y parle de la veille, des difficultés rencontrées et des améliorations à apporter. «On commence chaque matin comme dans une entreprise. On fait le point, on partage les retours, on apprend à travailler en équipe. C’est la culture industrielle», nous explique un formateur.
Quelques minutes plus tard, la réunion se termine. Les jeunes enfilent leurs gants, ajustent leur blouse et gagnent les ateliers. Le bruit des machines à commande numérique couvre peu à peu les voix. Les formateurs circulent entre les établis, regardent, corrigent et encouragent. Tout se déroule avec la rigueur d’une chaîne de production.
Tous les formateurs de l’IMA sont issus du monde industriel et possèdent une solide expérience de terrain, d’au moins 10 ans, dont 5 passés au sein d’entreprises aéronautiques. Sélectionnés à l’issue d’un processus rigoureux qui évalue à la fois leurs compétences techniques, leurs connaissances, leur adhésion aux valeurs du secteur et leur capacité à transmettre, ils suivent ensuite un cycle complet de formation à la pédagogie. Celui-ci combine apprentissage théorique et mise en pratique, en salle comme en atelier, pour leur permettre d’accompagner au mieux les futurs techniciens.
Une formation en alternance
Dans un coin de l’atelier, deux jeunes femmes s’appliquent sur une machine à commandes numériques. L’une vérifie les plans, l’autre ajuste les réglages. Safae Baghjouj, 22 ans, originaire de Meknès, a rejoint l’institut il y a deux semaines. Elle se souvient encore de la visite de l’équipe de l’IMA dans son école.
«Quand ils sont venus nous présenter la formation, j’ai tout de suite senti que c’était ce qu’il me fallait. J’ai toujours aimé comprendre comment les choses se fabriquent. On apprend vraiment à produire, à manier les machines, à lire les plans. Chaque jour, je découvre quelque chose de nouveau», raconte-t-elle.
Elle relève la tête, un sourire aux lèvres. «Ce que j’aime, c’est que tout est concret. On ne reste pas sur la théorie. On pratique, on corrige, on progresse», poursuit-elle.
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À côté d’elle, Doha Bouabidi ajuste une pièce sur la table de travail. Son parcours est différent, mais son enthousiasme est le même: «J’ai connu l’IMA par hasard, en naviguant sur LinkedIn. J’ai envoyé mon CV, passé les tests et j’ai été acceptée. Ce que j’ai découvert ici m’a impressionnée. On travaille presque comme dans une vraie usine.»
Elle suit une formation en alternance, partagée entre les ateliers de l’institut et l’entreprise qui l’a recrutée. «La majorité du temps se passe en atelier, le reste en cours. L’institut nous assure une formation composée à 70% de pratique et 30% de théorie. On apprend la discipline, la précision et l’esprit d’équipe», explique-t-elle.
Pour elles comme pour beaucoup d’apprenants, la finalité est claire, intégrer rapidement le monde professionnel. La formation n’est pas une fin en soi mais un tremplin vers l’emploi. Chaque étape prépare directement à l’embauche, avec des ateliers qui reproduisent les conditions réelles de production et une forte implication des entreprises partenaires. À la fin du parcours, les jeunes sont prêts à occuper un poste.
Cette exigence porte ses fruits puisque 99% des jeunes formés à l’IMA intègrent directement les entreprises qui les ont recrutés à la fin de leur cursus, un taux quasi intégral si l’on met de côté les quelques parcours interrompus ou non validés, comme le souligne une chargée de recrutement des stagiaires.
L’IMA accompagne 146 industriels du GIMAS
Un peu plus loin, Raphaël Samson, directeur général de l’IMA, observe la scène. Les blouses bleues s’affairent autour des établis et les formateurs donnent des consignes. Il signale que l’Institut des métiers de l’aéronautique est entièrement consacré à la montée en compétence du secteur.
«L’IMA, qui a été inaugurée par le roi Mohammed VI le 6 mai 2011, accompagne aujourd’hui les 146 industriels membres du GIMAS, le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales, dans tous leurs besoins en formation, qu’il s’agisse de perfectionnement pour les employés en poste ou de programmes pré-embauche pour les jeunes en quête d’un premier emploi», dit-il.
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Le directeur poursuit en précisant que «le cœur de métier de l’institut reste la formation pré-embauche. C’est là que tout commence, dans la préparation des jeunes à leur futur métier avant même leur intégration dans l’entreprise». L’équipe de l’IMA se charge de la présélection, sillonne le Maroc pour rencontrer les candidats dans les écoles techniques, les centres de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) et les associations locales.
«L’objectif est de repérer les profils capables de suivre la formation, puis de s’insérer rapidement dans l’industrie», note-t-il. Les stagiaires viennent de tous horizons, avec des niveaux allant du baccalauréat au diplôme de technicien spécialisé. Raphaël Samson évoque aussi l’Institut spécialisé dans les métiers de l’aéronautique et de la logistique aéroportuaire (ISMALA), «l’institut jumeau de l’IMA», dédié aux métiers de la maintenance aéronautique.
«Il existe des passerelles entre les deux. Certains étudiants de l’ISMALA viennent ici suivre des modules complémentaires pour renforcer leurs compétences. Ensemble, nous couvrons tout le spectre des métiers aéronautiques», détaille-t-il.
Ce que distingue l’IMA
Pour lui, la force de l’IMA réside dans sa capacité à coller au rythme industriel: «Nous ne fonctionnons pas comme une école classique. Les formations ne débutent pas en septembre, mais au moment où les entreprises en ont besoin. Cette souplesse nous permet d’adapter les programmes aux calendriers de production. Les jeunes sortent de l’IMA exactement quand les industriels ont besoin d’eux.»
Il tient à rappeler que l’accompagnement ne s’arrête pas à la formation initiale. «Les industriels reviennent régulièrement pour former leurs salariés, approfondir des compétences ou se certifier sur de nouvelles technologies. Certaines sessions portent sur les méthodes, la qualité, la sécurité ou l’environnement. D’autres concernent la maîtrise de logiciels de conception et de fabrication assistée par ordinateur comme Catia, Esprit ou TopSolid. Nous formons aussi au soudage, à la peinture aéronautique et à l’électronique», fait-il savoir.
Raphaël Samson nous montre par la suite les installations de l’IMA. Les ateliers de deux hectares reproduisent fidèlement les conditions réelles d’usine. On y trouve les mêmes plieuses, rouleuses, tours numériques, presses et hottes aspirantes que dans les grands sites industriels. Tout est pensé pour offrir aux jeunes un environnement de travail conforme aux standards internationaux.
Dans les ateliers de l’Institut des métiers de l’aéronautique. (A.Et-Tahiry/Le360)
Le directeur rappelle que «l’IMA est aujourd’hui le centre de référence du secteur aéronautique marocain. C’est vers nous que les industriels se tournent dès qu’il s’agit de former ou de perfectionner leurs équipes. Cette position, nous l’avons consolidée grâce à une écoute permanente du marché et à la confiance bâtie avec nos partenaires du GIMAS».
Ces «talents» dont parle Raphaël Samson, le directeur de l’IMA, sont aussi ceux qu’évoquait récemment Olivier Andriès, directeur général de Safran, lors d’une interview sur BFM Business.
Quatre fois, Olivier Andriès a prononcé le mot «talents», pour décrire l’excellence et l’engagement des équipes marocaines: «Le Maroc est un pays absolument stratégique pour Safran. Nous y sommes depuis 25 ans. Nous avons développé progressivement nos activités, et aujourd’hui, nous comptons 5.000 salariés au Maroc. Nous avons des talents extraordinaires, un personnel engagé, enthousiaste, au meilleur niveau de performance opérationnelle.»
Et d’ajouter: «Le Maroc est un pays plein de talents, en pleine dynamique, sous l’impulsion du roi. Il y a une vraie dynamique industrielle et des infrastructures très modernes.» Des propos qui font écho à la mission même de l’IMA, à savoir accompagner cette montée en compétence nationale et alimenter en continu un écosystème industriel en plein essor.
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Interrogé justement sur le partenariat avec Safran, Raphaël Samson précise que «l’IMA accompagne Safran comme elle accompagne les autres industriels». Il signale que, dans ce cas précis, «la demande concerne la maintenance et l’entretien des moteurs d’avion» et rappelle que l’Institut collabore déjà avec une première unité de Safran pour la formation des techniciens spécialisés en révision propulseur sur le moteur CFM56.
«La nouvelle étape porte sur le moteur LEAP, avec un partenariat renforcé pour former les techniciens de la nouvelle génération», indique-t-il. Pour lui, cette coopération illustre la logique même du modèle IMA, construit sur la proximité avec les industriels et la réactivité face à leurs besoins techniques.
Abdelhafid Boufettal, président de Safran Aircraft Engines Services Casablanca, confirme, lui aussi, l’importance de ce partenariat dans le développement des compétences locales. «Ces jeunes vont suivre un parcours de formation qui passe par l’IMA, avec des formations théoriques et des formations pratiques. Ils vont ensuite être formés au sein de nos réseaux de maintenance des moteurs d’avions», note-t-il.
Mickaël Bertrand, représentant d’Airbus au Maroc, souligne, de son côté, le rôle déterminant de l’Institut dans la montée en compétences du secteur. «Avec l’IMA, Airbus a construit une relation de proximité de premier plan. L’institut propose des formations sur mesure, adaptées aux besoins du groupe. Les cursus sont conçus avec une grande flexibilité, dans des délais raisonnables et intègrent désormais des modules de soft skills pour préparer les jeunes aux réalités du monde industriel», dit-il.
Selon lui, «ce modèle, presque unique à l’échelle internationale, est devenu un atout majeur du Royaume et un levier essentiel pour Airbus dans la fidélisation des talents».
C’est ainsi que chaque jour, l’IMA alimente la filière aéronautique en compétences, soutenant ainsi la montée en gamme d’un secteur stratégique pour le Royaume. Ce lien étroit entre formation et industrie a transformé Nouaceur en pôle de référence à l’échelle africaine. Grâce à une offre ajustée, des partenariats solides et un accompagnement constant, le Maroc est devenu une base fiable pour les grands donneurs d’ordre mondiaux. L’avenir de la filière passe désormais par cette continuité entre éducation, innovation et production.
















