Cinq mois après son élection à la tête de la Banque mondiale, Ajay Banga a prononcé son premier discours officiel devant la communauté internationale, ce vendredi 13 octobre à Marrakech, lors de la cérémonie officielle des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internationaux (FMI). Une séance rehaussée par la participation de la directrice générale du FMI Kristina Georgieva, du Conseiller royal Omar Kabbaj, du Wali de Bank Al-Maghrib Abdellatif Jouahri, du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, et de la ministre de l’Économie et des Finances Nadia Fettah Alaoui.
Dans un long discours, le patron de l’institution financière a dévoilé ses grandes priorités et les nouvelles réformes qu’il souhaite mettre en œuvre durant son mandat. Selon lui, la Banque mondiale a identifié cinq domaines clés vers lesquels elle orientera ses financements. D’abord, le capital humain (santé, éducation et protection sociale), la prospérité (emplois, politique fiscale, politique économique, inclusion financière et les petites entreprises), le développement durable (air, eau, santé des sols, biodiversité, forêts, adaptation et atténuation climatique), les infrastructures (routes, ponts, énergie) et le numérique. «Dans ces cinq domaines verticaux, nous mesurerons notre impact sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’emploi des jeunes et l’impact sur le climat (…) Nous étudions des échéances de 35 à 40 ans, pour aider les pays à s’orienter vers des horizons à plus long terme pour les investissements dans le capital social et humain», précise-t-il.
Bien évidemment, la réalisation de ces grands chantiers, surtout dans un contexte mondial instable, nécessite la mobilisation d’importants moyens financiers. L’institution de Breton Woods en est consciente et y travaille. Elle a créé, au cours des derniers mois, un mécanisme de garantie de portefeuille et lancé un instrument de capital hybride.
«Ces nouveaux outils nous permettent de prendre plus de risques et d’augmenter encore notre capacité de prêt, tout en préservant notre notation AAA. Ensemble, nous pourrons fournir 157 milliards de dollars supplémentaires en capacité de prêt sur une décennie», révèle Ajay Banga.
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Ce capital hybride, géré par la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD), une filiale de la Banque mondiale, sera notamment alimenté par l’Allemagne, dont la contribution permettra à la BIRD de fournir 2,4 milliards d’euros de prêts supplémentaires au cours des dix prochaines années. Les États-Unis prévoient aussi d’apporter leur soutien à la BIRD, ce qui pourrait lui permettre de débloquer environ 25 milliards de nouveaux prêts.
Création d’un laboratoire d’investissement du secteur privé
La Banque souhaite aussi accroître les contributions du secteur privé, d’où le lancement d’un laboratoire d’investissement du secteur privé qui regroupe quinze des plus grands PDG du monde, parmi les sociétés de gestion d’actifs, les banques et les opérateurs.
D’après Ajay Banga, ce laboratoire se focalise, dans un premier temps, sur l’augmentation des investissements privés dans les énergies renouvelables et la transition énergétique dans les pays en développement, et sur la recherche de projets «qui permettront d’infléchir la courbe de la croissance à forte intensité d’émissions».
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D’autres investisseurs sont dans sa ligne de mire. «Nous ouvrons la porte aux gouvernements et aux organisations philanthropiques, qui pourraient accroître les ressources concessionnelles. Grâce à cette plus grande ambition et à notre capacité à remplir notre nouvelle mission, nous pensons qu’il s’agira d’un véritable Fonds pour une planète vivable», soutient-il. Idem pour les investisseurs institutionnels comme les fonds souverains, les fonds de pension et les compagnies d’assurance, pour «mettre leurs 70.000 milliards de dollars au service des pays en développement».
Réduire les taux d’intérêt pour encourager la transition énergétique
À en croire le patron de la Banque mondiale, il est nécessaire de dépenser mieux pour allier croissance et durabilité. En réaffectant, par exemple, une partie des 1.250 milliards de dollars consacrés chaque année aux subventions pour les combustibles fossiles, l’agriculture et la pêche, ou des 6.000 milliards de dollars représentant le coût économique annuel de la pollution atmosphérique et de la surpêche, «pour encourager les pratiques durables, protéger l’air, l’eau et les forêts, tout en continuant à soutenir ceux qui en ont le plus besoin.»
Dans le cadre de la transition énergétique, fournir des prêts aux pays en développement, c’est bien, favoriser des emprunts avec des taux d’intérêt moins élevés, c’est encore mieux. Ajay Banga ne dit pas le contraire. «Nous étudions la possibilité de réduire les taux d’intérêt, afin d’encourager la sortie du charbon dans le cadre des transitions énergétiques», annonce-t-il.
«Et dans les pays qui utilisent à la fois l’IDA (Association internationale de développement, filiale de la Banque mondiale) et la BIRD, nous cherchons des moyens d’encourager la transition vers les énergies renouvelables en augmentant les financements concessionnels».
Parallèlement, l’institution financière a créé une plateforme de cofinancement pour faciliter la coordination entre les priorités mondiales et régionales. «Cette approche unifiée pourrait grandement bénéficier aux gouvernements que nous servons, en leur facilitant l’accès aux ressources d’un ensemble diversifié de banques multilatérales de développement, en concentrant les prêts sur une plateforme nationale unique», indique le président de la Banque mondiale.
Évaluer l’impact des financements
Ajay Banga souhaite aussi revoir les méthodes d’évaluation des performances de la Banque mondiale. En clair: apprécier plus l’impact de ses actions que le montant des financements débloqués. Ceci en mettant en place des indicateurs comme le nombre de filles scolarisées, le nombre d’emplois créés ou encore le nombre de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone évitées. «C’est pourquoi nous sommes en train de reconstruire notre fiche d’évaluation de l’entreprise à partir de zéro. Nous l’orientons vers des résultats et des preuves, et la ramenons de 153 indicateurs à environ 20», souligne-t-il.
Autre chantier majeur, en interne: l’allégement des procédures de gestion des projets. Selon le patron de l’institution financière, il faut actuellement en moyenne 27 mois pour qu’un projet de la Banque mondiale bénéficie d’un dollar. Et il faut attendre plus de 10 ans pour constater les premières retombées. «C’est toute une vie. Nous devons faire mieux. Et nous pouvons gagner un temps précieux. Nous avons l’ensemble du processus dans notre ligne de mire et nous nous efforçons, dans un premier temps, à réduire d’un tiers le temps nécessaire à l’examen et à l’approbation des projets, notamment grâce à l’utilisation de la technologie intelligente», indique Ajay Banga.
En dépit d’une conjoncture internationale précaire, le patron de la Banque mondiale se veut optimiste. «Nous avons hérité de décennies de connaissances et bénéficié de la générosité de toutes les nations. Aujourd’hui, nous sommes appelés à diriger et nous n’avons jamais été aussi bien placés pour réaliser les progrès demandés», conclut-il.