Tout le monde connaît Lech Walesa. C’est l’homme de Solidarnosc, le syndicat qui a fait tomber le communisme en Pologne, et plus tard le Mur de Berlin et le Bloc soviétique. Mais avant d’être le Président de la Pologne, et un prix Nobel, Walesa était un simple ouvrier électricien suant sang et eau dans les chantiers navals de Gdansk.
Pour connaître l’histoire de cet homme au destin exceptionnel, il n’est pas nécessaire de lire les pages de Wikipédia, ni de revoir les films d’Andrzej Wajda («L’Homme de marbre», 1977; «L’Homme de fer», 1981). Les premières sont impersonnelles, alors que les seconds ont pris beaucoup de rides.
On va donc mettre tout cela de côté. Il y a mieux à faire. Prenez un billet d’avion pour Gdansk, la ville où tout a commencé. Vous allez voir ce que vous allez voir. Faites ce que d’autres appellent du «tourisme culturel», une expression molle qui désigne un concept pourtant jouissif: s’amuser et revenir le cœur léger et l’esprit «augmenté» de deux ou trois idées qu’il est impossible de dénicher ailleurs.
Le tourisme culturel fait le bonheur d’une petite partie de l’humanité. Bienheureux sont ceux qui appartiennent à cette communauté capable de joindre l’utile à l’agréable. On dit que ça rallonge l’espérance de vie. Peut-être l’intelligence aussi.
En Pologne, donc, vous pouvez prendre des cours de canoë sur la Vistule, ça vous changera du jet-ski. Vous pouvez vous rendre sur les chantiers navals de Solidarnosc pour tenter de comprendre comment le monde a basculé, au début des années 1980. Tout en dégustant une bonne bière (ou une tisane si vous préférez).
Et si le cœur vous en dit, vous pouvez aller plus loin encore. Louez une voiture et un guide, allez visiter l’un des nombreux camps de concentration du pays. Celui de Gdansk ou n’importe lequel. Vous découvrirez alors une autre histoire du pays, de la ville et du monde.
C’est le genre d’histoire que d’autres peuples cherchent à cacher. Parce que maudite et terrible. Et parce qu’elle dit des choses terribles sur le passé, sur les égarements des glorieux ancêtres. Ici, cette histoire, on ne la cache plus. Cela fait un moment que les gens se sont réconciliés avec leur passé. Mais ils n’ont pas fini de faire leur deuil de toutes ces morts.
Ce que la Pologne a fait de son passé douloureux, d’autres peuvent le faire aussi. Pourquoi pas le Maroc, dirions-nous?
Réfléchissons un moment. Ici aussi, et pour comparer ce qui peut l’être, il y a eu une histoire douloureuse dont les relents continuent de nous tourmenter. Ici aussi, il y a eu un effort de réconciliation. Et de l’eau est passée sous les ponts du Bouregreg et de l’Oum Er-Rbia.
Les touristes qui découvrent le Maroc sont les mêmes qui partent à l’assaut de la Pologne et d’ailleurs. Ils sont curieux de tout. Ils veulent goûter au thé à la menthe et au reste, tout le reste.
Le Maroc a un créneau extraordinaire qu’il n’arrive pas à exploiter: c’est sa culture, sa mémoire, même dans son versant le plus sombre. Parce qu’il est derrière nous.
C’est de l’or en barre. Imaginez comment un circuit passant par Tazmamart peut faire un bien fou à toute la région, à commencer par le village qui porte le même nom et dont certains ignorent jusqu’à l’existence.
Il faut ouvrir cette boîte de Pandore. Derb Moulay Chérif, Bousbir, les anciens abattoirs (celui de Casablanca est une merveille que la ville n’arrive ni à réhabiliter ni à exploiter), etc. Tous ces lieux de mémoire ont un potentiel extraordinaire.