J’ai écouté l’autre jour Paul Mc McCartney, de l’éternel groupe des Beatles, chanter dans la grande salle Anfield à Liverpool, «Yesterday», sa chanson phare qui, dit-on, lui rapporte 300 000 Livres chaque matin. Durée de la chanson 2,50 mn.
Un public très nombreux a chanté avec lui. Mais lui, il chantait. On entendait bien sa voix juvénile et suave. Magnifique.
Ce n’est pas le cas du phénomène hyper populaire dans notre pays, le chef d’orchestre Amine Boudchart.
Amine ne chante pas. Il fait chanter en chœur des milliers de femmes toutes habillées en blanc des chants du patrimoine arabe classique («Alf lila we lila» entre autres).
C’est émouvant d’entendre des milliers de voix chanter pendant qu’Amine Boudchart dirige un bon orchestre avec des musiciens de qualité, notamment un violoniste connu du grand public .
C’est un phénomène nouveau. Boudchart se produit dans plusieurs villes du pays, et les salles affichent complet en quelques heures. Les billets vendus au marché noir atteignent des sommes entre mille et deux mille DH.
Ce succès est étrange. Ceux et surtout celles qui chantent connaissent par cœur les paroles des chansons dont il joue la musique.
Lors du festival Mawazine, la presse a parlé de 200.000 personnes à son concert.
À ma connaissance aucun chanteur n’est arrivé à ce niveau de succès.
Le système Boudchart fonctionne tellement bien qu’il vient d’être imité par d’autres. Mais lui, bénéficie de l’originalité de la démarche, de son charme et de sa sympathie évidente.
J’imagine qu’il paye les droits des musiques qu’il joue. Sinon, il aura des problèmes sérieux avec nos amis égyptiens qui sont très jaloux de leur patrimoine musical, qui reste unique dans le monde arabe. Actuellement les ayant droit de Abdel Halim Hafez réclament, via la justice, le paiement de leurs droits à des chanteurs qui auraient oublié de les déclarer.
Après réflexion, j’ai pensé que ce «système» serait une forme subtile de tromperie. Un chanteur qui ne chante pas. Une foule qui chante à sa place. C’est du jamais vu. Tant de grands chanteurs célèbres et adorés, tendent parfois le micro au public pour répéter avec eux une strophe ou un passage harmonieux. Mais ils chantent et leur voix surplombe celles du public.
On me dit que c’est l’occasion pour nombre de femmes de passer un bon moment choral, sympathique et probablement cathartique. Oui, pourquoi pas? Mais que M. Boudchart chante aussi. Ce serait normal, n’est-ce pas?
«Ils vont vers le bruit, le tapage, la violence; cela correspondrait à leur état mental, à leur vision du monde, laquelle est assez confuse pour ne pas dire désespérée.»
— Tahar Ben Jelloun
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Autre phénomène qui m’a dérangé sur plusieurs plans: le cas du rappeur El Grande Toto, de son vrai nom Taha Fahsi. Je n’ai rien contre le Rap et les rappeurs. Mais j’ai le droit d’analyser le texte hurlé et ce qu’il dégage comme violence. Ce qui est grave c’est que le public –jeune évidemment– connaissait par cœur les phrases de Toto.
Que nous dit Toto? Il mélange les langues et je ne suis pas arrivé à tout comprendre de son discours. Si, j’ai compris une chose: la violence!
Notre jeunesse aurait besoin de poésie qui célèbre des valeurs, lesquelles sont de plus en plus absentes de ce genre de spectacle. Une sorte de mode fait l’éloge du bruit assourdissant, aux cris qui ne veulent rien dire, de la brutalité comme mode de communication et surtout s’adressant à une jeunesse qui se reconnaîtrait dans cette violence. Est-ce de l’art? Est-ce de la musique? Ni l’un, ni l’autre, mais un spectacle basé sur un extrémisme dangereux.
Ce sont des jeunes qui malheureusement ne lisent pas, ne sont pas intéressés par la culture dans le sens universel et profond. Ils vont vers le bruit, le tapage, la violence; cela correspondrait à leur état mental, à leur vision du monde, laquelle est assez confuse pour ne pas dire désespérée. J’ai entendu un jeune homme faire l’éloge d’une drogue dont j’ai oublié le nom.
Avant, quand on écoutait Nass al Ghiwane ou Abdelwahab Doukkali, nous apprenions par cœur leur poésie.
Il en est de même des chanteurs français comme Léo Ferré, Gilbert Bécaud, Jean Ferrat (qui a rendu populaire la poésie de Louis Aragon). Mais sans aller jusqu’à la poésie magnifique d’Aragon, quelqu’un comme Charles Aznavour a chanté des thèmes de la vie qui nous parlent et nous font réfléchir.
Ah! Réfléchir! Voilà l’ennemi, le devoir insupportable pour une jeunesse sans boussole, ne recevant pas l’éducation qu’elle mérite, ni à l’école, ni à la maison.
Les valeurs se meurent. Elles sont mortes en partie. Et nous assistons à ces spectacles qui nous déshumanisent chaque jour davantage.
Un chroniqueur, père de famille a posté une vidéo où il alerte et dénonce ce phénomène. Il s’appelle Adnan Ben Chakroun. Il dit «l’art est une manière d’élever, de construire», mais à la place on a «une violence profondément corrosive. On appelle cela de la musique, mais c’est du vacarme dénué de toute substance. Il a une odeur, celle du désespoir, celle d’une génération qui confond provocation et création. Comment en est-on arrivé là, à cette outrance, à cette vulgarité, à ces slogans creux? Il s’agit d’une régression morale, toxique. Il y a nos enfants qui n’ont pas encore les armes critiques pour faire le tri entre des paroles qui banalisent la drogue et la violence contre les femmes et le reste…»
C’est le cri d’un père. Il a raison. Ce genre de spectacle s’impose à la jeunesse qui croit qu’il est porteur de modernité. Hélas, et je suis désolé et le dire, c’est un show dégradant dont la violence suinte de partout. C’est un point de vue. On a le droit d’aimer. Moi je n’aime pas. Certains rappeurs sont des poètes. D’autres font du bruit.
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Un mot pour féliciter l’acteur américain Richard Gere qui a récité sur YouTube un merveilleux poète du très regretté Mahmoud Darwich, qui nous a quittés en 2008. Avec des mots simples, tout est dit sur l’exil et la terre de Palestine usurpée. Merci à l’américain Gere.





