Naufrage de la culture: Le Gran Teatro Cervantes de Tanger à l’agonie

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Parmi les nombreux joyaux architecturaux et culturels que recèle le Maroc, le théâtre Cervantes de Tanger. Un monument qui malgré son importance meurt à petit feu dans l’indifférence quasi générale.

Le 20/08/2018 à 15h49

Fondé en 1913 par un couple d’émigrés espagnols venus de Cadix, le Gran Teatro Cervantes est le symbole de la relation maroco-espagnole. Considéré comme la plus grande scène artistique d’Afrique du Nord, ce lieu emblématique en perdition souffre de la mésentente du Maroc et de l’Espagne au sujet d’un plan de sauvegarde qui permettrait de le faire renaitre de ses cendres.

Dans un long reportage consacré à ce joyau de l’art nouveau, France Culture retrace pas à pas l’histoire de ce théâtre pas comme les autres, qui a accueilli dans un premier temps de grands tenors et comédiens venus du monde entier avant de se reconvertir en salle de cinéma… et de catch.

Le cadeau d’un homme à son épouse

A l’origine de ce théâtre, Manuel Peña Rodríguez, un pêcheur de Cadix qui en 1903 débarque à Tanger pour y faire fortune et rejoindre Antonio Núñez Reina, l’oncle de sa femme, un homme fortuné. A la mort de celui-ci, le couple hérite de tous ses biens. Le pêcheur qui s’est entre temps lancé dans le commerce de sangsues médicinales décide alors de fonder un théâtre pour faire plaisir à son épouse, passionnée de théâtre et nostalgique de sa culture espagnole.

Dans une ville qui accueille toutes les religions et principalement investie par les Francais et les Britanniques, Manuel Peña Rodríguez entend faire briller l’Espagne dans un lieu emblématique. Il choisit donc un grand potager, qui fait face à la mer, dans le quartier de Tanger où les Franciscains avaient construit la cathédrale catholique, des écoles et un hôpital. La construction est confiée à Diego Jiménez Armstrong, un architecte espagnol né à Tanger et qui a constuit nombre de bâtiments célèbres dans sa ville natale.

De la gloire à l’oubli

Le 11 décembre 1913, Le Gran Teatro Cervantes est inauguré en grande pompe et devient le haut lieu des exilés espagnols et des tangérois en s’imposant d’emblée comme un acteur majeur du métissage des cultures propres au Maroc et à Tanger.

A partir des années 50, le théâtre perd de son éclat. Les opéras, les zarzuelas et les concerts n’attirent plus grand monde. Les reponsables du lieu prennent alors un pari risqué: reconvertir l’endroit en salle de catch. Le public répond présent dans un premier temps mais l’essentiel des catcheurs étant des Espagnols en fin de carrière, on se lasse.

En 1956, l’indépendance sonne et avec le départ des Espagnols de Tanger, le lieu est reconverti une nouvelle fois encore, mais cette fois-ci en cinéma. Les conditions techniques n’étant pas réunies pour abriter un projet de ce type, le théâtre se meurt chaque jour un peu plus, jusqu’à tomber dans l’oubli. Abandonné, il ferme définitivement en 1962.

Maroc – Espagne: Le dialogue de sourds

Depuis sa fermeture, le Maroc et l’Espagne continuent le dialogue sur les termes d’un plan de sauvegarde de l’endroit sans pour autant se mettre d’accord.

Entre 1972 et 1992, l’Espagne le loue à la ville de Tanger pour un dirham symbolique sans qu’il soit pour autant rouvert. Défendu par l’architecte Mariano Vázquez Espí qui milite auprès du gouvernement espagnol depuis 1994 pour sa sauvegarde puis dès 2004 par l’Association Cervantes d’Action Culturelle et d’Amitié Hispano-Marocaine, le théâtre est toujours au point mort.

Classé patrimoine national depuis 2007, sa survie dépend aujourd’hui de travaux évalués par l’Espagne à 5 millions d’euros.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/08/2018 à 15h49