Nous sommes le 29 janvier 2024, à Alger, dans les locaux du ministère algérien de la Culture et des Arts. Ce jour-là, Soraya Mouloudji, ministre algérienne de la Culture, reçoit Éric Falt, qui occupe depuis le 1er octobre 2022 le poste de directeur de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) à Rabat et de son représentant auprès du Maroc, de l’Algérie, de la Libye, de la Mauritanie et de la Tunisie.
Lors de cette réunion, somme toute assez exceptionnelle en Algérie, le ministère a annoncé, par voie de communiqué, que ladite rencontre a porté sur les moyens de renforcer la coopération entre le ministère de la Culture et des Arts et l’UNESCO en matière de protection du patrimoine culturel. Et la représentante de ce ministère de «passer en revue les grands efforts déployés par l’Algérie afin de protéger, préserver et valoriser son patrimoine culturel matériel et immatériel».
Le ministère de l’(in)culture et de l’art de se décrédibiliser
Ainsi donc, peut-on lire dans la presse locale, il s’agissait aussi d’examiner «certaines questions relatives à l’inscription de nouveaux sites et biens culturels algériens sur la liste du patrimoine mondial et à la préparation de dossiers sur le patrimoine culturel immatériel, en vue de leur inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité».
La lecture de la presse algérienne, qui reprend en chœur ce communiqué officiel, n’en dit pas davantage quant à ces «biens culturels» et aux dossiers qui feront l’objet, annonce-t-on, d’une inscription à l’UNESCO. Pour en savoir plus, il faut écouter le discours tenu par la ministre de la Culture suite à cette réunion avec Éric Falt, lors d’une conférence de presse annonçant «l’ouverture des sessions nationales sur la révision du système juridique lié à la protection du patrimoine culturel».
Celle-ci annonce ainsi, avec aplomb, la prochaine inscription à l’UNESCO, en 2024, outre celle du haik et de la musique malouf… du zellige et du melhoun dits «algériens».
Des déclarations qui n’ont pas manqué de faire bondir les nombreux chercheurs et passionnés du patrimoine culturel, alors que le zellige, enregistré par le Maroc auprès du Bureau de la propriété intellectuelle, et que le melhoun a récemment été enregistré par le Royaume auprès de l’UNESCO .
Car outre la réappropriation culturelle éhontée à laquelle se livre encore une fois l’Algérie par le biais de ses représentants, ces déclarations sont surtout la preuve de l’ignorance flagrante de l’Algérie des procédures de travail multilatérales et du fonctionnement même de l’UNESCO. Quant au droit international dans ce domaine, et notamment la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003, entrée en vigueur en 2006… elle aussi passe à la trappe!
Les annonces officielles de Soraya Mouloudji ne sont en fait que pures inventions. Et pour cause, détaille une source informée pour Le360, «il est impossible que l’UNESCO accepte l’inscription de ces éléments en 2024». En effet, poursuit cette même source, «le Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui se réunit une fois par an, accepte l’inscription d’un élément par pays une fois tous les deux ans».
Pour l’Algérie, qui a déjà enregistré le Raï à l’UNESCO, et prévoit d’enregistrer l’un de ses costumes traditionnels en 2024, et non le caftan comme le prétendent certains médias algériens, il est donc impossible d’ajouter tout autre élément à cette liste.
Enfin, non seulement la dernière réunion qui s’est tenue à Gaborone, au Botswana, «a vu l’enregistrement du melhoun comme patrimoine mondial dans les listes de l’UNESCO pour le Maroc, qui avait enregistré auparavant, en 2021, la Tbourida», mais l’organisation «ne peut pas non plus accepter l’inscription d’un élément déjà enregistré par un autre pays, comme c’est le cas du melhoun», poursuit-on.
Le Maroc, source d’inspiration inépuisable pour l’Algérie
Ces tentatives de réappropriation du patrimoine culturel marocain, qui sont devenues à ce point récurrentes de la part de l’Algérie qu’on ne s’en étonne même plus, ne sont pas la seule annonce de cette ministre. En effet, celle-ci a également annoncé, dixit l’agence de presse algérienne, examiner «l’importance du renforcement du Centre régional pour la préservation du patrimoine culturel immatériel en Afrique (CRESPIAF, NDLR), accueilli par l’Algérie».
L’annonce a de quoi faire sourire, pour peu que l’on se penche sur la genèse du CRESPIAF. Un centre placé sous l’égide de l’UNESCO, dont la création a été annoncée le 21 novembre 2013, l’ouverture en 2015, mais qui n’a commencé à exister qu’en… mars 2023.
Que s’est-il donc passé au sein du CRESPIAF en l’espace de dix ans? Rien, absolument rien. En revanche, concours de circonstances ou (mal)heureux hasard de calendrier, l’endroit s’est mystérieusement mis à exister moins de quatre mois après que le roi Mohammed VI, dans une lettre adressée aux participants de la 17ème session du Comité intergouvernemental de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, tenue à Rabat du 28 novembre au 3 décembre 2022, annonçait la création du Centre national du patrimoine immatériel.
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Autre motif qui prête à sourire, à l’écoute de cette série d’effets d’annonces ubuesques, l’intention exprimée par la ministre lors de son entretien avec Éric Falt d’organiser, le 26 février 2024, au sein de ce centre sans âge ni identité, une conférence internationale sur le patrimoine culturel subaquatique, marchant ainsi dans les pas du Maroc.
Car, déjà, en mai 2023, était organisée, au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, une rencontre internationale sous le haut patronage du roi Mohammed VI, dans le cadre de la programmation de «Rabat, Capitale africaine de la culture», articulée autour du thème «le patrimoine subaquatique à l’ère des nouvelles technologies: solutions et défis». C’est d’ailleurs au cours de cet évènement que Mohamed Mehdi Bensaïd, ministre marocain de la Culture, annonçait la création du Centre national des études et des recherches sur le patrimoine subaquatique et appelait les chercheurs étrangers à apporter leur soutien à ce projet…
Ainsi, pour «renforcer» l’importance de cette coquille vide qu’est le CRESPIAF, centre censé être dédié à la promotion de la sauvegarde du patrimoine vivant en Afrique, mais qui n’a jamais œuvré en ce sens, la ministre algérienne de la Culture entend-elle appliquer cette recette largement répandue dans son pays: attendre que d’autres passent à l’action pour tenter de reproduire la même chose, en s’appropriant bien entendu la paternité de l’initiative. En Algérie, cela va de soi.