Il faisait gris et froid, ce jour-là, à Paris. Un crachin d’automne noyait les façades de l’île Saint-Louis, un froid insidieux s’insinuait dans les interstices de l’habit du passant. Brrrr… Heureusement, une tache de couleur égayait la façade du bel immeuble de l’Institut du Monde Arabe, une tache joyeuse qui annonçait une rétrospective de l’œuvre de Mehdi Qotbi. Eh bien, entrons!
Quelques marches à descendre à partir du rez-de-chaussée et, oublié le mauvais temps qui règne dehors, on change d’univers, on entre dans le monde accueillant, radieux et mystique d’un peintre qui trace depuis un demi-siècle son sillon de lumière.
Ce qui frappe d’abord, dans cette agréable déambulation dans les entrailles de l’IMA, c’est cette évidence: il y a dans l’art de Qotbi un degré inhabituel de concentration sur quelques propriétés picturales primaires (et par là même essentielles): la surface, la couleur, la répétition. Cette dernière met souvent en jeu des lettres de l’alphabet arabe. Certains parlent alors de calligraphie -mais s’agit-il vraiment de cela?
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La calligraphie, si l’on tient à ce substantif parfois galvaudé, prend une dimension originale, unique chez Qotbi: la parole active (le prononcé mental des lettres et des mots qu’elles forment) s’estompe. Ce qui surgit alors, c’est une image abstraite, à forte valeur picturale, et dont il ne serait pas excessif d’affirmer qu’elle atteint l’indicible -mais il ne s’agit pas d’un indicible au sens d’un excès de tragédie, d’un au-delà du drame: bien au contraire, c’est une sérénité diffuse que fait naître cette absence de signifié immédiat. Autrement dit, s’il n’y a rien à lire, il y a beaucoup à ressentir. L’intellect s’annihile (c’est le f’na des soufis), l’intuition (le dawq) permet seule de saisir ce qui est en jeu.
Justement, qu’est-ce qui est en jeu? Quand les mots manquent, reste cet irrépressible penchant qui pousse l’homme vers cette sorte de poésie sans vocable dans laquelle «les parfums, les couleurs et les sons se répondent». Et tout cela compose des paysages de lettres et de couleurs, des compositions harmonieuses, qu’on ne se lasse pas de contempler, tant la maîtrise de la couleur et de la forme sont patentes; on ne se lasse pas de les contempler au point qu’on se prend, douce somnolence, à rêvasser un peu, à quelques mètres pourtant de l’agitation parisienne, tant la palette et la composition donnent à l’œuvre une qualité onirique indéniable.
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Laissons aux spécialistes le soin de disserter des diverses techniques mises en œuvre par Qotbi. Ce qui m’a frappé, moi, c’est que même s’il est clair qu’on décèle sans difficulté une évolution manifeste de son art, depuis les débuts encore marqués d’une certaine timidité au lyrisme des toiles plus récentes, il y a malgré tout, tout au long de ces années, une certaine constance, une fidélité à un choix esthétique né sans doute dans l’adolescence. À la différence d’un Max Ernst, par exemple, dont le style fut une sorte de parcours haché de reniements successifs, de regrets, de repentirs, Qotbi est resté lui-même, tout en se renouvelant. Si les toiles de la maturité ont acquis une certaine gravité, elles ne trahissent pas pour autant l’intuition de l’enfance, qui relève peut-être de cette psychologie des profondeurs qui dépasse les compétences de votre chroniqueur.
On ressort de cette rétrospective ragaillardi, d’attaque, prêt à affronter la grisaille parisienne, et on recommande fortement, sans réserve, à tous ceux que leurs pas porteraient du côté de la capitale française de plonger, à leur tour, dans ce bain de jouvence qu’offre cette superbe rétrospective.