La fontaine offerte par le Royaume du Maroc à l’Union africaine, inaugurée jeudi au siège de l’organisation panafricaine à Addis-Abeba, en présence de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, et de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, évoque plusieurs choses à la fois.
Elle dit la nature de relations allant au-delà de la diplomatie au sens strict du terme pour intégrer la dimension culturelle, en projetant vers des publics plus larges des valeurs touchant l’essence même des échanges humains dans leur acception la plus noble.
Elle dit aussi le rayonnement du patrimoine national dans les assemblées mondiales, comme en témoignent, entre autres exemples, la mosaïque avec cadre décoratif en bois, entièrement composée à la main au Maroc dans la pure tradition du XIIème siècle, offerte en 1963 à l’Organisation des Nations unies en y inscrivant le préambule de sa charte, ou encore la fontaine marocaine trônant depuis plusieurs années au siège de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne.
Sans oublier évidemment l’expression de la somptuosité d’un héritage aux spécificités bien affirmées, porté par des maîtres artisans à la créativité intarissable, en l’occurrence, ici, dans l’art du zellige, ces délicates mosaïques de céramique taillées à la main, faisant souvenir des merveilles architecturales et décoratives ancestrales, auquel s’ajoutent le bois et le plâtre sculptés, embellis de motifs géométriques et floraux, ainsi que le laiton ciselé et perforé pour laisser la diffusion ingénieuse de la lumière.
En phase avec les défis du moment, cette fontaine fonctionne à l’énergie solaire et nous plonge par ailleurs, autant par son ornementation que par ses cliquetis, dans l’ambiance des médinas traditionnelles en symbolisant tout un art de vivre qui invite à la méditation…
Nul besoin de rappeler l’évidence autour de l’utilité de la fontaine en tant que source de vie, point d’approvisionnement en eau et halte rafraîchissante, abreuvant Hommes, bêtes et plantes.
Avec l’ère islamique, la fontaine devient indispensable pour les besoins des ablutions rituelles avant la prière.
Dans une ville comme Fès, érigée au bord de la rivière, le géographe Al-Idrissi écrit au XIIème siècle : «On y voit de toutes parts des fontaines surmontées de coupoles et de réservoirs d’eau, voûtées et ornées de sculptures ou d’autres belles choses.»
«Si déjà, on dénombrait à Fès, à la fin du XIIe siècle, 80 fontaines publiques, 72 salles d’ablutions et 93 bains, une prospection récente révèle l’existence d’un réseau d’eau traditionnel estimé à 70 km et comprenant 3.500 fontaines domestiques (dont 64 publiques)», lit-on par ailleurs dans le livre «Itinéraire culturel des Almoravides et des Almohades».
Parmi ces fontaines, magnifiques chefs-d’œuvre auxquels le professeur Mohamed Mezzine consacre un savoureux ouvrage, nous pouvons citer celle des Serrajine, tenant son nom du marché des selliers, la seqaya des Nejjarine au centre de la place éponyme, faisant face au fondouk et ancien caravansérail; la fontaine à porche de la mosquée du Mérinide Abou al-Hassan, celles de Souk al-Haïk ou de Bab Guissa pour ne parler que d’elles.
Un peu plus au sud, dans une région plus aride comme Marrakech, subsistent des bassins somptueux et des fontaines, alimentés depuis le règne des fondateurs almoravides par le système sophistiqué de puisage de l’eau à travers une galerie souterraine, appelé khettara, permettant de fertiliser la ville autant que la plaine désertique alentour transformée peu à peu en oasis verdoyante.
Là encore, dans cette ancienne capitale impériale, on compte un nombre important de fontaines, dont la monumentale seqaya Mouassine, aménagée en même temps que la mosquée du même nom par le Saâdien Abd-Allah al-Ghalib, ou telle autre œuvre du sultan Ahmed al-Mansour, située à proximité de la mosquée Ben Youssef, portant le nom parlant de «Chrob ou Chouf» (Bois et contemple!), typique avec son auvent orné de stalactites de stuc recouvert de tuiles vertes, classée au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO depuis 1985.
Il en va de même pour les autres villes du Royaume, des plus grandes aux plus modestes, dans lesquelles les fontaines, édifiées par les dynasties régnantes successives, restent un lieu de mémoire, mêlant l’esthétique à l’utilitaire, le sacré au profane, étant souvent comprises dans une géographie spirituelle quand elles n’en marquent pas le pivot.