Joyau du tourisme écologique, foyer dynamique recevant un ballet successif de représentations diplomatiques, hub d’investissement fort de ses potentialités et de sa localisation stratégique, Dakhla a abrité le samedi dernier, le deuxième forum MD Sahara autour du thème: Le Maroc en Afrique.
Derrière ses airs nonchalants de station balnéaire nichée paisiblement entre l’Atlantique et les dunes mouvantes du Sahara, elle dit à elle seule, les profondeurs de l’ancrage, la force de la volonté et la puissance du soft power.
Quiconque a visité Dakhla en deux temps différents peut constater son incroyable métamorphose, passant de simple bourgade, naguère une caserne érigée durant la colonisation espagnole, à un centre urbain équipé de toutes sortes d’infrastructures.
C’est dans un contexte d’expansion impérialiste et coloniale, mêlant intérêts politico-économiques et rivalités internationales, que l’attention espagnole s’était portée sur la baie de Oued Dahab.
En 1881, le gouvernement espagnol avait accordé à la grande entreprise privée de pêcherie, Pesquerias Canario-Africanas, le privilège de pêcher en ces lieux où la compagnie établit, en face de la presqu’île, un ponton retiré à la suite des réactions des populations.
En novembre 1884 vint l’expédition menée par le jeune géographe arabisant, Emilio Bonelli, à bord de la goélette de guerre Ceres, commandée par le capitaine de frégate Pedro de la Puente, pour le compte de la Société espagnole des Africanistes et Colonialistes, créée elle-même en 1883 suite au Congrès de géographie coloniale et commerciale tenu dans le salon d’honneur de l’université de Madrid.
La même année 1884, le gouvernement espagnol notifiait aux pays signataires de la Conférence de Berlin (portant sur les modalités de partage de l’Afrique), sa décision de placer sous sa protection, la côte de Rio de Oro depuis Cap Boujdour au Cap Blanc.
Dans le cadre de ces tractations entre puissances coloniales, la partie nord de Boujdour était convoitée par la Grande-Bretagne avec le concours de l’ingénieur écossais Donald Mackenzie et le sud du Cap Blanc lorgné par la France en vertu du traité de Versailles de 1783.
La factorerie construite par les Espagnols fut baptisée Villa Cisneros, en hommage au cardinal Francisco Jimenez de Cisneros, Grand-Inquisiteur, confesseur d’Isabelle la Catholique dont les chroniques retiennent les mesures de conversion forcée accablant les musulmans.
C’était bien lui l’artisan à Grenade, de ce gigantesque autodafé qui avait vu brûler en l’an 1500, dans la porte Bib Rambla, 8.000 manuscrits islamiques et des exemplaires du Coran, provoquant le siège de sa maison à l’Alcazaba, la fuite des Maures et leur rébellion dans les montagnes de l’Alpujarras…
Mais revenons à notre Dakhla!
Les manigances coloniales ne s’y firent pas sans les réactions des tribus, notamment les Oulad Delim, les Aroussiyin, les Oulad Tidrarine…
Le 9 mars 1885, le bâtiment de la compagnie était pris d’assaut et Bonelli est expulsé de Dakhla vers les Canaries. Les attaques se poursuivent en 1887, en 1892, en 1894 et en 1898 contre le comptoir commercial renforcé par un détachement militaire, forçant les Espagnols à rester cantonnés dans la bande de Dakhla.
Cette présence étrangère ne se fit pas non plus sans la réaction officielle du Maroc qui envoya des émissaires aux tribus.
Par ailleurs, une note circulaire était adressée en mai 1886 par le sultan Moulay Hassan 1er à tous les représentants des États étrangers à Tanger par le biais de son ministre des affaires étrangères Mohamed ben Larbi Torres, protestant contre les agissements au Sahara de quelques nations étrangères, pendant qu’il préparait son expédition dans le Sud.
Dans les exposés et documents de la Cour internationale de justice, nous pouvons lire que «dans une lettre du 29 mai 1889, adressée à son ministre des affaires étrangères, M. Patenôtre, ministre de France à Tanger, précise que le Sultan ne consentirait jamais de son plein gré à aliéner la moindre parcelle de son territoire».
D’un autre côté, pour entériner les prétentions espagnoles, l’ambassadeur du pays avait demandé au représentant du souverain marocain à Tanger de l’interroger sur les limites méridionales du Royaume.
Ce à quoi le sultan avait répondu à son délégué, le 3 ramadan 1303 de l’Hégire (1886):
«En ce qui concerne le Rio de Oro, une enquête faite auprès des habitants de la région a révélé qu’il s’agit des lieux habités par Oulad Dlim et la tribu de Laroussiinnes qui sont nos fidèles serviteurs et qui se sont installés aux environs de Marrakech et de Fès et qui appellent cette région Dakhla».
Une brève rétrospective de l’histoire des tribus permet de mesurer le degré saisissant des interpénétrations du Nord au Sud.
Pour ne parler que des Aroussiyin et des Oulad Dlim, ces derniers nomadisent dans les zones littorales allant du Draâ à Seguia Hamra avec comme terrain de parcours privilégié Oued Dahab.
Au milieu du XIIIe siècle, certaines de leurs fractions s’étaient dirigées vers le Souss, particulièrement chez les Chtouka, auxquels elles ont donné des caïds de renom sous les règnes saâdien et alaouite.
Au XVIe siècle, les Oulad Dlim, alliés aux Saâdiens dont ils constituent le fameux guich comme bon nombre de tribus sœurs, s’installent au nord-ouest de Marrakech où ils sont mêlés aux Chrarda et à d’autres groupes sahariens apparentés, avant de s’établir pour certains, dans la plaine du Gharb au XIXe siècle. Sans oublier leurs autres pérégrinations, notamment à Oujda où ils côtoient les Mghafra et les Oudaya.
Quant au Aroussiyin, leur épopée a commencé au nord du Royaume, au sein du pays Jbala, au milieu de la tribu éponyme des Beni Arouss.
Selon la tradition généalogique, celle-ci avait hébergé au IXe siècle, l’Idrisside Slimane (surnommé Sellam), fils du prince Mezouar, qui est considéré comme le premier de la lignée à avoir quitté Fès pour les montagnes du Rif occidental au sein des Soumata avant d’envoyer à la tribu voisine, son fils Sellam, dit Laârous, ancêtre de tous les Alami-Idrissi dont l’une des figures révérées est le pôle du soufisme, Moulay Abd-Salam ben Mchich, né sur ces terres, six générations plus tard.
De là est issu Moulay Omar qui avait pris le cap pour Kairouan où vit le jour en 1582 son fils Sidi Ahmed Aroussi.
Rejoignant la terre de ses ancêtres en pays Jbala, ce dernier prit son bâton de pèlerin vers la Chaouia où il épousa une femme du cru dont il eut un fils, appelé Sidi Mhammed Aroussi dont les descendants sont fondateurs de la Zaouïa Aroussiya de Settat aux liens attestés avec la Zaouïa saharienne du Tajakant.
Quant à Sidi Ahmed Laâroussi, il s’engagea davantage vers Saguia Hamra chez ses cousins Rguibat (issus de la lignée de Moulay Abd-Salam ben Mchich) en un voyage que la tradition orale et les récits hagiographiques imprègnent de légendes et de surnaturel.
Ses deux fils, Bou-Mehdi et Tounsi y sont considérés comme les ancêtres des Aroussiyin de Saguia Hamra, ces «Gens des nuages» dont le nom est immortalisé en tant que tel dans le récit de Jémia et de J.M.G Le Clézio, et dont le rôle de la Zaouïa fut notable dans la diffusion du savoir et dans le combat contre l’occupation des côtes sahariennes.
Les accords entre les puissances coloniales, qui se sont partagées le Sahara et délimité leurs zones d’influences respectives, avaient fini toutefois par y imposer leur état de fait.
Il a fallu attendre le 26 février 1976 pour entériner officiellement la fin de l’occupation espagnole.
De cette désormais lointaine «présence» subsiste quelques vestiges telles les murailles et tours de la caserne Alejandro Farbisio, inscrites sur la liste du patrimoine national, ainsi que le souvenir du lieu en tant qu’étape entre Casablanca et Dakar pour les pilotes pionniers de l’Aéropostale.
Dakhla est ainsi évoquée à plusieurs reprises par Antoine de Saint-Exupéry dans son œuvre autobiographique «Terre des hommes», au même titre que Tarfaya avait vu la naissance du personnage du Petit Prince, tout en inspirant le renard-fennec de Cap Juby, dessiné pour sa sœur Didi.