Racisme, afrocentrisme et autres «isme»

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueLe ton est donné par le président tunisien himself dans une concordance de vues avec les mouvances les plus extrêmes…

Le 25/02/2023 à 10h59

Grand remplacement à la sauce tunisienne!

C’est signé par le chef de l’Etat en personne dont les propos, qui n’ont rien à envier aux théories d’extrême droite européenne, conspirationnistes et xénophobes, ont suscité une levée de boucliers indignée.

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, datant du 21 février, Kaïs Saïed a prôné des mesures urgentes contre le «déferlement des migrants clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne».

Ces «hordes», ainsi qu’il les nomme, seraient une source «de violence, de crimes et d’actes inacceptables».

Dans la même veine, il dénonce «un stratagème criminel ourdi depuis le début de ce siècle pour modifier la composition démographique de la Tunisie», avec pour objectif inavoué de «la transformer en pays d’Afrique uniquement, sans appartenance aux communautés arabe et musulmane».

Zemmour a trouvé là un allié inattendu qu’il a adoubé sans tarder sur twitter!

On est bien loin de l’esprit de la révolution de jasmin, plante typiquement méditerranéenne, symbole «de pureté et de douceur de vivre» mais hélas éphémère car, écrit Mezri Haddad dans «La face cachée de la révolution dite du jasmin», «une fois cueillie, elle ne conserve sa blancheur et sa senteur que quelques heures!».

On est loin aussi du combat des ONG tunisiennes qui dénonçaient, peu de jours auparavant, la montée du «discours haineux» et l’inaction de l’Etat contre les manifestations de racisme envers les migrants originaires d’Afrique subsaharienne.

Si loin par ailleurs des aspirations des Tunisiens, préoccupés par la crise économique sans précédent qui touche le pays et par cette fuite en avant du régime vers la dictature, vers le rejet de l’autre et vers la stratégie de diversion bien éprouvée par ailleurs dans son offrande aux foules d’une victime expiatoire!

Autres cieux mais thématique approchante, pas tant en rapport à l’immigration qu’à l’africanité de manière générale.

On apprend ainsi l’annulation à la dernière heure au Caire, officiellement pour des raisons logistiques, du spectacle prévu le 21 février de l’humoriste américain Kévin Hart.

Le vrai mobile serait la mobilisation épidermique sur les réseaux sociaux en faveur de son boycott, en raison de propos antérieurs qui lui sont attribués, jugés afrocentristes, relatifs au passé noir de l’Égypte.

Les propos en question: «Nous devons enseigner à nos enfants la véritable histoire des Africains noirs lorsqu’ils étaient rois d’Égypte et pas seulement l’ère de l’esclavage qui est renforcée par l’éducation qu’ils reçoivent en Amérique. Vous souvenez-vous du temps où nous étions rois?»

Il n’en fallut pas plus pour sortir les grands mots: «racisme», « révisionnisme», «suprématisme» et de partir dans des diatribes enflammées sur la tentative de voler et de falsifier l’histoire de la civilisation égyptienne.

Dire que c’est au Caire que s’était tenue en 1974 le fameux Colloque international d’égyptologie, sous les auspices de l’Unesco, réunissant différents spécialistes de renommée mondiale, affirmant, dès le rapport d’introduction, de la plume de Jean Vercoutter que «l’Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser»!

Pour bien situer le contexte, il faut rappeler l’état d’esprit qui primait depuis les origines dans le milieu des africanistes européens, faisant de la thèse d’une Egypte blanche ancienne une justification à la colonisation, tout en niant l’historicité de l’Afrique, rangée dans un «un monde anhistorique, non-développé», «au seuil de l’histoire universelle», ainsi que l’analyse Ludovic Boris Pountougnigni Njuh dans sa contribution «L’arme archéologique dans les discours des africanistes au XXe siècle: la rupture du colloque du Caire de 1974».

Il est donc des plus surprenants de voir certains Egyptiens reprendre aujourd’hui à bon compte «les vieux clichés de l’anthropologie coloniale» dénoncés notamment par un Théophile Obenga.

Et si les dérives identitaires existent des deux bords, si l’Afrique septentrionale appartient incontestablement à la «civilisation de l’olivier», cela ne minimise en rien son ancrage dans le continent et les profondeurs africaines, berceau de prestigieuses civilisations.

Plusieurs chercheurs pensent d’ailleurs que c’est la désertification du Sahara et le mouvement des populations du sud de l’Afrique qui pourraient avoir conduit à l’avènement de la civilisation des pharaons, qu’on ne peut plus isoler du substrat africain.

De la même manière, D. Jacques Meunié soutient, dans le cadre de ses travaux sur le Sahara, la parenté entre les Kouchites (fondateurs selon la tradition d’Axoum en Ethiopie) et les Harratins établis dans la vallée du Draâ depuis un temps immémorial.

L’Afrique «noire» et l’Afrique «blanche» ont par la suite continué à communiquer tout naturellement par la voie du désert qui n’a jamais constitué une barrière mais davantage un passage obligé et un espace de tous les brassages.

Le débat sur la nature du peuplement et sur le mouvement des populations n’a cependant pas fini de faire couler de l’encre, emporté parfois par le sentimentalisme et par la peur, souvent par les idéologies et par des siècles de postures et d’impostures coloniales, reprises aujourd’hui à bon compte par les Nord-Africains eux-mêmes, et pas seulement les Egyptiens, qui peinent à assimiler pleinement cette part fondamentale d’eux-mêmes.

Par Mouna Hachim
Le 25/02/2023 à 10h59