Il y a 90 ans, dans les contreforts du Haut Atlas…

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueBatailles d’Aït Yaâqoub, Tounfit, Sidi Yahya Ou-Youssef, Tazizaout, Bougafer, Baddou… Tant de combats pour la liberté ont imprégné les villes ou paisibles ksour du Haut Atlas et jusqu’aux flancs abrupts de ses parois rocheuses!

Le 18/02/2023 à 10h58

«Nous brouterons l’armoise et l’herbe sèche lorsque seront achevées nos provisions.

Nous mangerons de la terre s’il le faut.

Mais nous n’accepterons jamais l’avilissante soumission…»

C’est à peu près dans cet esprit que s’exprimait, poétiquement, la farouche détermination des Aït Hdiddou face à l’occupation.

Nous sommes dans les contreforts du Haut Atlas.

Tant de combats pour la liberté peuvent être remémorés dans ses paisibles ksour et jusque sur les flancs abrupts de ses parois rocheuses!

Il y a 90 ans, exactement le 13 février 1933, s’y déroulait la bataille de Bougafer, opposant l’armée française aux irréductibles Aït Atta.

Ces derniers n’étaient pas seuls! D’autres combattants, repliés devant l’avancée de la machine de guerre, avaient convergé vers les ultimes bastions de la résistance.

L’occasion pour nous de raviver la mémoire de ces événements, à la fois pour rendre un profond hommage à ceux qui sont morts en défendant leur terre, et pour rafraîchir la mémoire de quelques doux naïfs, décrivant une colonisation installée pacifiquement après la signature en 1912 de l’acte du Protectorat, ignorant, au passage, la brutale réalité de la conquête militaire, ses pertes incommensurables et la longue résistance.

En 1930, face à la hardiesse des combattants qui dépassait le stade d’un simple baroud d’honneur, le gouvernement français avait décidé de sortir l’artillerie lourde, d’autant que le contexte en Europe était marqué par un regain de tensions et par la nécessité de libérer des effectifs pour les besoins potentiels.

Entre autres combats, l’héroïque bataille d’Aït Yaâqoub, au sud de Midelt, avait fait subir en juin 1929 -malgré l’artillerie et les plus de 600 bombes larguées- de lourdes pertes aux forces françaises et agité le landerneau parisien.

On peut lire alors dans le journal «Le populaire»: «la presse qui accepte toujours comme paroles d’Evangile les déclarations officielles, affirme que l’affaire d’Aït-Yacoub «restera un simple accident où il serait vain de rechercher des «responsabilités criminelles». Mais les responsabilités criminelles, ce sont celles du gouvernement lui-même dont la folle et imprudente politique d’expansion marocaine nous enfonce toujours plus avant dans un guêpier dont nous ne nous tirerons pas sans dommages. Et pour le bénéfice de qui? De la France? Allons donc! Des intérêts capitalistes cachés à l’ombre du drapeau national qu’on veut planter sur des riches terrains, sur un sol abondant en gisements divers.»

En octobre 1930, le ministre de la Guerre, André Maginot, faisait le voyage pour se réunir à Kasbat Tadla avec de hauts dirigeants militaires au sujet du plan d’action à mener afin de venir à bout de la «dissidence».

A la réunion, étaient convoqués le général Antoine Huré, commandant de la région de Marrakech dont les troupes avaient franchi le Haut Atlas et entamé une progression vers le Draâ et le Dadès, le général Henri Giraud, commandant la région des confins algéro-marocains, qui visait l’encerclement du Tafilalet et le colonel Loustal, commandant le Territoire du Tadla avec sa politique de grignotage au Moyen-Atlas.

Forts de leurs bataillons, de leur cavalerie, de leur artillerie, de leurs compagnies de chars…, les divisions de Meknès et de Tadla se dirigèrent prudemment vers les Aït Yahya du Nord, de la confédération Aït Yafelman.

Tous les moyens furent employés: le feu des canons, les bombardements aériens, le blocus de la montagne visant à rompre les points de communications et de ravitaillement en eau.

Avec la prise de Tounfite, décrite par ailleurs comme l’un des «principaux jalons de la grande piste à caravanes qui reliait le Sud au Nord», la résistance se déplaça, environ 20 kilomètres plus à l’ouest, vers la Zaouïa de Sidi Yahya Ou Youssef, au fort prestige moral dans l’ensemble de la région.

Elle se poursuivit vaillamment tout au long du mois de juillet et une partie du mois d’août 1932, grossie par les rangs de combattants venus de tribus de la région, tous soumis à la puissance de feu.

La Zaouïa incendiée, les combattants rescapés prirent la direction du Tazizaout (la Verte).

Là, dans cette région montagneuse boisée aux forêts denses et au terrain accidenté, en plein territoire Aït Sokhman, se rassemblèrent les guerriers Ichqiren, Aït Ihand, Aït Amer, Aït Sidi Ali, Aït Hdiddou…

Ils étaient non seulement issus de la région mais comprenaient les personnes chassées par l’occupation, notamment du Moyen-Atlas, tous sous la direction de Mekki Amhaouech dont la capitale, El Kbab, avait été occupée en 1922.

Les femmes n’étaient pas en reste! Comme ailleurs, elles n’étaient jamais loin des champs de bataille avec un rôle confirmé par la tradition orale et par les rapports militaires dans leur galvanisation et approvisionnement des combattants ou dans leur aide apportée aux blessés.

Au terme d’âpres combats, les forces françaises, sous la direction du Général Huré promu commandant supérieur des troupes au Maroc, avaient bouclé la zone, renforcées par l’artillerie et par les bombardements aériens qui n’épargnèrent ni femmes ni enfants, tous soumis à la faim et à la soif, assiégés qu’ils étaient dans le ravin du Tazizaout.

«Hommes, femmes, enfants, serrés là tout le jour, les uns contre les autres à étouffer, attendant fiévreusement la nuit pour courir à l’oued remplir une guerba et faire pacager les quelques moutons qui leur restent. La pestilence est telle au milieu de tous ces cadavres d’hommes et d’animaux à demi-enterrés que l’odeur de charogne monte jusqu’en haut du Tazra.», écrit docteur Serre, médecin d’un bataillon de Tirailleurs Algériens.

De son côté, clame un poème publié dans les « Cahiers d’études berbères » au sujet de ces combats de la région de l’Agheddou:

«Rassasie-toi de graisse et de viande,

ô chacal d’Anefgou,

Les bergers sont au loin,

Les cadavres des hommes vaillants jonchent le terrain!».

Le 12 septembre 1932, pour éviter davantage de massacres, la reddition est négociée par Mekki Amhaouech avec les autorités militaires françaises qui avaient perdu au combat 200 soldats et 7 officiers.

La chute du Tazizaout ne signifiait pas pour autant la fin de la résistance!

Les combattants se dirigèrent vers le versant sud du Haut-Atlas, venant renforcer les troupes regroupées dans la citadelle rocheuse du Baddou au sein des Aït Merghad.

L’histoire y retiendra, pour la postérité, une des dernières grandes batailles contre l’occupant, à la date du 11 au 29 août 1933, opposant, sous la conduite de Zayd Ou Hmad Skounti, les Aït Mrghad, Aït Hdiddou, Aït Issa, Aït Atta…, munis juste de 300 fusils artisanaux et de toute leur abnégation.

En face, le général Huré avait mobilisé trois régions militaires et cinq généraux, aidés du pilonnage de l’artillerie, des bombardements aériens, des tirs des mitrailleuses visant les points d’eau poussant les résistants à annoncer lucidement la fin des combats.

Comme cinq mois auparavant au Jbel Saghro, on n’osait parler ni de vainqueurs ni de vaincus.

Que l’on se souvienne à ce propos de la bataille de Bougafer, dans ce fief des Aït Atta, accompagnés d’autres combattants venus du Ghris notamment, sous la direction de l’Amghar n’Ufella, le chef suprême, Assou Ou Baslam.

Une autre épopée de la résistance pendant laquelle environ 12.000 guerriers, accompagnés de centaines de femmes et d’enfants, avaient livré un combat acharné face à une armée estimée à 82.000 hommes équipée d’artillerie lourde et de 44 avions de guerre, encerclés dans le massif de Bougafer, subissant durant 42 jours les pilonnages de l’artillerie et les bombardements.

«Les mitrailleuses braquées sur les points d’eau ont beau jeu d’interdire le ravitaillement de la dissidence, écrit Henry Bordeaux. Les femmes s’y font tuer, mais continuent.».

Voués au carnage, les combattants finirent par rendre les armes le 25 mars 1933, non sans avoir imposé leurs conditions et non sans avoir fait subir aux troupes coloniales la mort de 3.500 hommes, y compris dix officiers, dont Henry de Bournazel, surnommé par ses antagonistes, en allusion à sa tunique de spahi écarlate, «le Diable rouge».

Que de livres restent encore à écrire sur ces leçons de courage et de sacrifice, offertes par les peuples du Sud en matière de combat véritable en faveur des droits humains et de la Liberté!

Par Mouna Hachim
Le 18/02/2023 à 10h58