La critique, le talent de ceux qui n’en ont pas

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueBeaucoup de nos concitoyens ne voient pas d’un bon œil d’être représentés par des Marocains qui ne ressemblent pas à ce qu’ils pensent être. Mais à quoi correspond donc cette belle image que nous voulons tant véhiculer aux yeux des autres?

Le 16/02/2020 à 11h58

Il y a quelques jours, nous annoncions sur ce site que la marque française de luxe Louis Vuitton a confié au Marocain Hicham Lasri la réalisation d’un spot publicitaire.

Certes Hicham Lasri n’a pas attendu Louis Vuitton pour se faire un nom au Maroc, car c’est à lui que nous devons de beaux et grands moments de cinéma, tels que «The end» ou encore «C’est eux les chiens» pour ne citer que ces deux longs-métrages.

Toutefois, du point de vue de la planète mode, travailler avec un grand nom tel que celui de cette maison parisienne, c’est, en soi, une consécration. En cela, le fait mérite d’être dit, souligné et applaudi car jamais encore, un réalisateur marocain ne s’était, à ce jour, attaqué à cet exigeant marché.

Or, au lieu d’être applaudi sur les réseaux sociaux, ce réalisateur a eu droit à une flopée de commentaires désobligeants portant sur… Sa coupe de cheveux. En effet, sur la photo publiée, Hicham Lasri arbore une longue mèche coiffée de côté. 

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Un style capillaire, qui n’a visiblement pas été du goût de tout le monde, et qui a tout bonnement éclipsé l’annonce de sa collaboration avec une des plus grandes maisons de mode de la planète, car, de l’avis quasi-général des commentaires, cet homme-là ne donne pas une "bonne image" du Maroc et de fait, représente mal les Marocains. 

Voilà donc comment réduire à néant le talent de quelqu’un, en raison de son apparence, dans laquelle d'autres ne se reconnaissent pas, ou à laquelle ils ne souhaitent pas être assimilés.

Ce cas-ci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, et nous le citons ici non pour créer une énième polémique vide de sens dont raffole le web, mais bien pour nous attarder sur ce concept vague auquel bon nombre de nos concitoyens s’accrochent, quitte à le défendre bec et ongles: notre "image", ou tout du moins, la diffusion de ce qu’on pense être notre image à l’étranger.

Il va de soi que dès que quelqu’un fait montre d’un certain talent, au point d’être reconnu mondialement, celui-ci se voit endosser, parfois bien malgré lui, l’étiquette d’ambassadeur de son pays d’origine. Jusqu'ici, rien de bien original, ni de typiquement marocain, car chaque pays est fier de voir ses compétences s’illustrer hors de ses frontières.

Toutefois, beaucoup de nos concitoyens ne voient pas d’un bon œil d’être représentés par des Marocains qui ne ressemblent pas à ce qu’ils pensent être. A une mèche de cheveux près, on vous renierait presque.

Mais qui au juste applaudit-on? Qui représente donc cette "belle image" que nous voulons tant avoir aux yeux des autres? Autrement dit, quelles sont donc nos idoles? Qui sont donc celles et ceux dont on est fier, et qui remportent la palme suprême de l’adoration: le privilège d’avoir droit à des «mashallah» écrits au kilomètre.

Côté sport? Nos meilleurs sportifs s’illustrent sous d’autres cieux ou n’ont pas grandi ici. On les applaudit quand ils gagnent, et quand ils perdent, ils deviennent des traîtres, ou, au mieux, des binationaux.

Côté cinéma? Ne nous parlez surtout pas de Loubna Abidar, cette formidable actrice à qui on refuse ce titre, au prétexte qu’elle a joué le rôle d'une prostituée. Car, comme tout le monde le sait, pour jouer aussi bien le rôle d’une prostituée, c’est qu’on en est une dans la vraie vie. Et quand bien même celle-ci a été une "fille de joie" ou le serait encore, est-ce que ça en ferait pour autant une mauvaise actrice? Mais passons, de toute manière, on ne veut pas qu’elle nous représente, qu’elle parle en notre nom, encore moins à l’étranger! Elle risquerait de salir notre grandeur, notre excellence, notre perfection, notre intégrité… Et de gâcher l’image que nous nous évertuons à construire pour ces occidentaux auxquels on veut tant plaire. Un petit complexe d’ancien peuple colonisé, nous? Jamais!

Côté musique? Ah oui, des idoles nous en avons! Saâd Lamjarred, Dounia Batma… On les aime d’ailleurs tellement qu’on devient experts en matière de théories du complot pour mettre à mal des décisions prises par la justice.

Côté business? Tous corrompus! S’ils sont riches, c’est à nos dépens.

Côté mode? On n’a pas de stylistes, que des khayatates de takchitates. Heureusement qu'Yves Saint Laurent, Dior et compagnie, eux, ont su mettre en avant la beauté de notre savoir-faire. Appropriation culturelle vous dites? Mais non, c’est un honneur pour nous que d’inspirer de grands noms de la mode occidentale.

Idem quand une occidentale se convertit soudainement à l’islam, apprend la langue arabe et se met à réciter des sourates et chanter Oum Keltoum… Mashallah. Mais applaudit-on tout autant un Marocain qui sait parler d'autres langues, qui ne sont pas ses langues maternelles? Pense-t-on d’ailleurs mériter ces applaudissements?

On pourrait continuer comme ça longtemps… Car visiblement, nous avons un gros problème avec le concept de réussite, quand il naît et se développe sous nos cieux. En revanche, nous n’avons aucun mal à aduler les idoles des autres. Car au Maroc, nous sommes souvent plus enclins à préférer les martyrs aux idoles.

Au delà du peu d’estime que nous avons visiblement pour nous-mêmes, et de la difficulté manifeste dont nous faisons preuve pour valoriser notre propre réussite, nous avons aussi un sérieux problème avec la critique. Car beaucoup d’entre nous confondent dangereusement la critique constructive avec les commérages, et pensent que la critique en toute circonstance relève de la liberté d’expression. Mais ne nous y trompons pas, bien souvent, «toute notre critique, c'est de reprocher à autrui de n'avoir pas les qualités que nous croyons avoir» dixit Jules Renard.

Mais que l’on se rassure, Chaâbane et Ramadan approchent à grand pas, on va enfin pouvoir se racheter une conscience, et regagner quelques hassanates au passage. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 16/02/2020 à 11h58