A peine quittée la pelouse du stade où on l’adule, Achraf Hakimi dérange. Après avoir posé en couverture du Monde magazine torse nu, orné d’un collier de perles, le visage encadré par une titraille rose, et avoir ainsi heurté la sensibilité des «vrais hommes», le voici qui revient sur le tapis rouge de Cannes, star parmi les stars, avec à son bras son épouse Hiba Abouk, tous deux habillés en Balmain.
Mais le penchant pour la mode et les tendances audacieuses d’Achrak Hakimi dérangent et le font passer aujourd’hui d’icône du football de toute une nation à traitre à sa religion. «Comment un homme marocain, musulman de surcroît, peut-il tolérer que sa femme s’affiche de la sorte –c'est-à-dire à moitié à poil à en croire la vindicte populaire– publiquement?», s’insurgent certains.
Plutôt qu’une fierté de plus à afficher à son palmarès, le tapis rouge cannois de Hakimi tourne à la polémique sur les réseaux sociaux. Dans la robe qu’on ne saurait voir de Hiba Abouk, des internautes échaudés voient un affront, une honte, un scandale. Parmi ces pères la pudeur, on compte même un journaliste marocain d’Al Jazeera, qui reproche un fashion faux pas à Hakimi. «Je suis désolé pour vous», écrit-il à l’égard de celui censé représenter «l’image du musulman marocain et l’image de l’équipe du Maroc» dont «les joueurs ont toujours respecté les valeurs du peuple qu’ils représentent». Et de conclure, visiblement chamboulé par le corps de déesse de Hiba Hakimi: «Je suis triste, en colère et très choqué.» Pauvre petite chose...
Et pour bien se faire comprendre et ainsi être clairs sur leurs attentes, certains mettent en parallèle deux photos de couples de footballeurs. D’un côté, l’Egyptien Mohamed Salah et son épouse voilée et donc mestoura; de l’autre, Achraf Hakimi et son épouse en mode glamour à Cannes. D’un côté, un vrai bonhomme, un rajel à en croire le voile qu’arbore sa femme; de l’autre, un traître à la sacro-sainte masculinité arabo-musulmane.
En lisant ces commentaires haineux, on s’interroge tout d’abord sur l’hypocrisie de ces gardiens de la vertu qui, sous prétexte de préserver les valeurs musulmanes de pudeur, ne se privent pas pour juger et critiquer les autres. Comment ça se passe votre application de la foi, en fait? Avez-vous sauté le passage où on vous recommande de ne pas être dans le jugement des autres et de vous mêler de ce qui vous regarde?
Selon cette même logique à deux poids deux mesures, l’habit fait la foi, enfin, surtout celui de la femme, et en comparant l’épouse de Mohamed Salah à Hiba Hakimi, on tente encore de nous faire gober que le voile est un gage de pudeur, de fidélité, de pureté, d’innocence et de respect. Et à l’inverse, bien entendu, une femme qui assume son corps sans y voir de la vulgarité, une femme aussi irrespectueuse que pas respectable, qui fait la honte des siens et surtout de son mari. Mais dites-vous bien que si la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, il en va de même pour la vulgarité et la perversion.
Fort heureusement, ceux qui placent leur honneur dans la tenue de leur femme et entre ses cuisses ne représentent en aucun cas l’opinion de tous. Face à eux, il y a nous autres, celles et ceux qui ne voient dans ce couple que deux jeunes gens beaux, talentueux, auxquels la vie sourit et qui ont su jouer la carte du glamour avec brio sur le tapis rouge. Alors oui, on applaudit Hiba pour sa magnifique tenue et son corps parfait machaallah et on salue la confiance et la sérénité qu’affiche Hakimi. Car en plus d’être un dieu du stade, c’est un dieu de la com’. En un cliché, il est parvenu à résumer la vraie définition de la masculinité et du respect de l’autre.