Rojola

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueInutile de blâmer les hommes de ne pas être justes ou de ne rien foutre à la maison quand on élève nos garçons comme des enfants rois, à qui l’on permet de faire ce que l’on reproche pourtant à leur père.

Le 15/11/2020 à 12h34

Une très belle initiative s’apprête à être lancée sur le web marocain, une plateforme qui portera le nom de «machi rojola». L’occasion pour son fondateur, un homme, de redéfinir le concept de masculinité sous le prisme de la société marocaine et de nous parler des masculinités car en effet, il y en a plusieurs, en opposant la masculinité positive à sa version dite toxique.

Ce projet est rafraîchissant à plus d’un titre. Pour une fois, on aborde le sujet du féminisme d’un point de vue masculin et ça, c’est suffisamment rare pour être souligné. C’est la preuve même que nous sommes enfin arrivés à un point crucial de ce débat sociétal qui avait tendance à opposer les hommes et les femmes sur la question des femmes et à ranger les défenseurs de la cause féminine dans une case bien précise, celle du féminisme. Nous allons enfin pouvoir soigner nos bobos ensemble. Quelle avancée de taille et quelle belle promesse pour l’avenir.

L’idée de parler de la masculinité au Maroc, d’interroger cette sacro-sainte rojola que l’on brandit fièrement en bombant le torse est une avancée importante dans le débat sur l’égalité des sexes à plus d’un titre. Le fait que l’initiative soit portée par un homme est admirable. Oui, admirable, car il en faut du courage quand on est un homme au Maroc pour s’attaquer au sujet de la masculinité, qui implique intrinsèquement celui de virilité. Ici, au même titre que dans d’autres pays méditerranéens, le sujet est extrêmement sensible, tant il pèse sur les épaules de ce mot, rojola, un poids social effrayant.

Car si le fait d’être une femme au Maroc n’est pas une chose facile à vivre au quotidien, le fait d’être un homme ne l’est pas non plus, si l’on y regarde de plus près.

Pour accéder à ce titre de «rajel» que l’on attribue à quelqu’un qui force le respect, et parfois aussi aux femmes qui le méritent, il faut répondre à certains critères. Il y a derrière ce terme de «rojola» une bonne doses de valeurs humaines qui définissent les contours d’un homme sur lequel on peut compter en n’importe quelles circonstances, un genre de super-héros, un homme inébranlable, prêt à se sacrifier pour ses amis, son entourage.

Du point de vue des femmes, la manière dont on use de ce terme de rojola en dit long sur nos attentes, souvent matérialistes et souvent aussi en contradiction avec une certaine vision du féminisme. C’est cet homme jaloux, qui a des principes, et qui défend notre honneur. C’est cet homme qui répond à des critères physiques ultra-précis. C’est aussi cet homme qui ne nous laisse pas payer au resto. C’est ce mari qui subvient à tous les besoins de la famille… In fine, la rojola attitude est en contradiction totale avec les principes d’égalité des sexes que l’on réclame pourtant.

Il serait donc grand temps que l’on se mette d’accord et qu’on soit surtout raccords entre nos discours et nos pensées. Si l’on tient à ce point à bâtir une société égalitaire, cessons de demander aux hommes tout et son contraire et de s’emmêler les pinceaux entre virilité et teneur du compte en banque.

N’oublions pas non plus l’impact de l’éducation des mères sur leurs fils. Inutile de blâmer les hommes de ne pas être justes ou de ne rien foutre à la maison quand on dispense son fils chéri des corvées ménagères parce que sa sœur s’en occupera et quand on élève nos garçons comme des enfants rois, à qui l’on permet de faire ce que l’on reproche pourtant à leur père.

Il n’est pas ici question de dresser deux camps, celui des victimes féminines et des agresseurs masculins, mais bien de remettre en question des schémas sociaux, culturels, traditionnels, parfois aussi inspirés de notre perception de la religion qui nous tracent une ligne de conduite dont la finalité n’est pas toujours, pour ne pas dire rarement, une société égalitaire basée sur le respect de l’autre sexe.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 15/11/2020 à 12h34