C’est un bel immeuble casablancais où pour une fois les finitions sont bien finies, où il y a un jardin, un gardien, un parking au sous-sol –et des colocataires bien élevés.
Sauf un. Un seul. Et ce sagouin solitaire suffit pour transformer ce qui pourrait être un petit paradis en Enfer. Il faudrait le talent de Dante Alighieri pour décrire ce que souffrent les résidents chaque samedi.
Le sagouin en question est un ould lfchouch (un pourri-gâté pour ceux de nos lecteurs qui ne pratiquent pas la darija). Comme beaucoup de oulad lfchouch, il croit qu’il doit absolument faire du bruit, surtout le samedi soir. Sa BM et ses costards ne suffisent pas à le rassurer. Existe-t-il vraiment? Le perçoit-on? A-t-il la moindre importance sur cette planète? Le doute s’installe. Alors il fait du bruit pour se rassurer. Du samedi 22.00 au dimanche matin 6.00, il transforme son appartement– payé par sa maman, of course– en boîte de nuit. BOUM-BOUM-BOUM-BOUM !
Il y en a qui croient que c’est de la musique, ça. Non, bande d’ignares, la musique c’est de l’harmonie, de la mélodie, de la polyphonie; c’est pensé, élaboré, sublimé. BOUM-BOUM-BOUM-BOUM, c’est du bruit.
Et ce n’est pas tout. De l’appartement transformé en antre du Diable s'échappent des effluves qui évoquent les paradis artificiels chers aux poètes maudits. C’est qu’on y consomme de la marie-jeanne en quantité industrielle. Ould lfchouch entend sans doute soutenir activement l'économie du Rif. Le dimanche matin, les voisins sont tous shootés, par osmose. De quoi se plaignent-ils? Ils n’ont pas déboursé un liard.
Il n’y a pas que le Rif. Ould lfchouch étend sa générosité jusqu’à la Colombie et en particulier à Medellin. Grâce à la poudre blanche fournie par Pablo Escobar, on peut suivre sa trace jusqu’au parking où il gare sa BM n’importe comment, de préférence au travers des issues de secours. Pourquoi se gêner?
Des dames de vertu très approximative, vêtues de ce qu’on nomme tunicula minima au Vatican, débarquent chaque samedi soir chez lui. Pauvres filles, qui viennent des bidonvilles avoisinants… Sans doute moul l’BM donne-t-il des cours d’alphabétisation à titre bénévole.
Maintenant, je pose avec gravité cette question: vivons-nous dans un pays sans foi ni loi?
Attendez, je rephrase ma question, comme disent les Anglais. Oublions la foi, il ne faut pas trop en demander. La question, la voici: vivons-nous dans un pays sans lois? Casa, c’est le far west? C’est un pueblo du Nouveau-Mexique, avec un shérif, un bar et des Apaches qui rôdent dans les environs? On tolère les outlaws à Casablanca?
J’ai posé la question à l’ami qui m’a signalé le problème puisqu’il habite, le pauvre, dans cette résidence oubliée du Christ et du Prophète. Il n’y a pas de loi dans ce pays? Pourquoi diable n’appelle-t-il pas la police ou les hallebardiers dès que moul lfchouch met sa sono a 10.000 décibels à minuit? Il y a quelque part un qanoun qui l’interdit, non?
Mon ami a regardé à droite, à gauche, puis s’est approché de mon oreille et m’a glissé:
– Mais c’est le fils d’Untel!
Untel est un personnage très influent. Et alors? Sommes-nous encore à l’époque où chacun avait peur de son ombre? J’ai dit à mon ami:
– Cotisez-vous et offrez un appartement dans votre résidence à un commissaire de police. Moul lfchouch n’osera plus transformer son appart’ en bar-boîte-lupanar le samedi soir.
Vous me dites:
– Mais ce n’est pas forcément une bonne solution. Et si le commissaire commence lui aussi à faire la bamboula chaque week-end?
Alors là, les amis, vous venez d’entrer dans la quatrième dimension.
Vous me permettrez de ne pas vous y accompagner.