Quand j'étais étudiant à l’ENPC, nous vîmes un jour quelques Chinois apparaître pendant les cours, en tant qu’auditeurs libres. Sans doute s’agissait-il d’un programme de coopération entre la France et cette Chine de Deng Xiaoping qui commençait à s’ouvrir au monde.
Curieusement, il ne s’agissait pas de jeunes gens mais d’hommes d’un certain âge, qui avaient déjà roulé leur bosse et venaient à Paris se frotter à la science des “longs nez“. On en voit aujourd’hui le résultat: l’élève a dépassé le maître. Le taux de croissance de la Chine ne cesse d’impressionner depuis deux décennies.
L’un de ces étudiants chinois était plus ouvert que les autres. Il s’assit plusieurs fois à côté de moi pendant les cours, tant et si bien que nous prîmes l’habitude de bavarder, même si son français était laborieux.
Je m’intéressais à l’économie. Je lui parlai d’Adam Smith, de Ricardo, de Keynes… Il haussa les épaules. Puis il me dit:
– L’économie obéit à deux lois que Confucius a énoncées il y a vingt-cinq siècles.
De son index levé, il simula le chiffre un:
– Pour augmenter la richesse d’un pays, il faut que ceux qui la produisent soient nombreux mais que ceux qui la consomment soient peu nombreux.
Je me fis la réflexion que “nombreux“ et “peu nombreux“, pour la Chine au milliard d’habitants, devait signifier autre chose pour eux que pour nous. Mais quand même, c’était extraordinaire, ce que me disait ce membre du Parti communiste chinois –nos condisciples l’étaient, sinon ils n’étaient pas autorisés à voyager.
Il simula le chiffre deux de l’index et du majeur:
– Deuxième loi: il faut que ceux qui créent la richesse soient rapides mais que ceux qui la consomment soient lents.
Ah. Pas de consommation frénétique parmi la classe aisée. Ne pas claquer son argent. Prendre son temps… Investir?
En me souvenant il y a quelque temps de ce que m’avait dit Zhang-Chen, je crois avoir compris ce qu’a fait la Chine depuis Deng: un discours de façade marxiste, égalitariste, mais en réalité l’application des deux principes de Confucius.
Le Maroc veut (et peut) devenir le dragon de l’Afrique du nord, avec des taux de croissance asiatiques, autour de 6 ou 7%.
Mais sommes-nous prêts, pour atteindre cet objectif, à accepter la leçon de Confucius?
Et devons-nous faire comme les Chinois: dire une chose et faire le contraire?
Redoutable dilemme…