Ces jours-ci, profitant d’une météo clémente, je me suis beaucoup promené dans les rues de Paris. Une chose m’a étonné: le nombre d’affichettes tricolores ornant des magasins où l’on peut «acheter français». Le boucher de Ménilmontant vante la viande tendre et fine d’Aubrac, originaire des plateaux cévenols, à préférer à celle des gauchos argentins. Le boulanger de Belleville affirme que ses baguettes sont faites à partir de farines de blé et d'épeautre fabriquées dans un moulin en Bretagne. Même chose chez le proverbial «Arabe du coin», ouvert tard le soir: on peut se procurer du lait fourni par des vaches qui lisent Montaigne en broutant, ou du fromage affiné par des éleveurs portant béret basque.
Dans un magasin de vêtements, j’ai eu la surprise de voir des petits drapeaux français un peu partout. Interrogée, une accorte Ginette m’a expliqué que ce pull-ci avait été tricoté dans l’hexagone –par mamie Nova?– alors que celui-là sortait d’une usine asiatique. Le premier était deux fois plus cher mais «il faut soutenir notre industrie, monsieur, même si on y met de sa poche».
Attention! Il ne s’agit pas ici –ou pas seulement– de nationalisme ou de patriotisme. Certains de mes amis français préfèrent les produits locaux à cause d’enjeux liés à l’environnement.
- Je suis locavore, m’a dit fièrement l’un d’eux, ce qui m’a grandement alarmé –avait-il dévoré son locataire?– avant qu’il ne m’explique de quoi il retournait. Le locavore est un citoyen responsable qui s’efforce de ne consommer que de la nourriture produite dans un rayon restreint autour de son domicile. Il privilégie les produits frais et de saison qu’on peut se procurer sans intermédiaires –c’est ce qu’on appelle des circuits courts (et non des courts-circuits, expression déjà prise par les électriciens).
Conquis, je propose de fonder la FML (Fédération marocaine des locavores), d’autant plus que je peste régulièrement dans ma barbe quand je fais mes courses dans une boutique de Benguerir où j’ai mes habitudes: quasiment aucun produit n’est fabriqué dans les R’hamna, ni même au Maroc. Même pas les biscuits! Sommes-nous incapables de fabriquer des biscuits? Faut-il qu’ils viennent de Turquie ou d’Espagne?
Mon téléviseur Samsung –publicité gratuite– incorpore mille brevets industriels et est fabriqué par des robots d’une grande complexité. Je comprends qu’on ne puisse pas en fabriquer à T’nine Ch’touka ou Tafraout. Mais un biscuit? Il y a des brevets, des secrets industriels, de la nano-technologie dans un biscuit? Il est confectionné par Terminator? Dans les centres de recherche de la NASA?
Du temps que j’enseignais l’économie, je démontrais à mes étudiants les bienfaits du commerce international et du libre-échange en me basant sur la fameuse théorie des avantages comparatifs de Ricardo. Aujourd’hui que je suis cerné par des biscuits turcs ou espagnols dès que j’entre dans un mini-market marocain, je commence à me poser des questions.
Faut-il consommer made in chez soi plutôt que made in China? S’il s’agit de produits industriels complexes et que nous sommes incapables de fabriquer, la question ne se pose même pas. On ne peut pas regarder la Coupe du monde sur une omoplate de chameau. Mais quand il s’agit de produits banals et qu’on peut confectionner au coin de la rue ou se procurer chez un maraîcher à l’orée de la ville, il n’y a pas à hésiter. Vive la FML (dès qu’elle sera créée)!
PS: Puisque vous tenez à le savoir, j’ai finalement acheté de la viande d’Aubrac, une baguette 100% made in France et du lait de Normandie. Quand je serai de retour à Benguerir, je boycotterai le mini-market tant qu’il ne proposera pas de produits du cru avec des petits drapeaux rouges frappés de l’étoile verte à cinq branches…