Imaginons que le conflit du Sahara se trouve en Europe!

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ChroniqueImaginons que la France ait été victime d’une double occupation et que les deux colonisateurs lui aient laissé avant de partir, en tant que cadeau de départ empoisonné, le «Front Populaire de Libération du Peuple du Midi»…

Le 27/08/2022 à 11h00

Imaginons que le Portugal, au faîte de sa puissance, occupe l’Aquitaine alors que l’Espagne, non moins victorieuse, s’empare de l’Occitanie, de la Provence et plus longuement de l’Italie toute entière.

La France, victime de cette double occupation, se bat dans cette configuration sur tous les fronts pour prouver sa souveraineté sur ces territoires, pendant que l’Italie, enfin indépendante de la tutelle, non contente de se voir hériter indûment de la Provence, trouve le moyen d’armer un mouvement séparatiste de l’Occitanie et de l’Aquitaine -appelons-le «Front populaire de libération du peuple du Midi»!- dans le but de disposer d’un couloir stratégique vers l’Atlantique et de chercher, par groupuscule interposé, des misères à n’en pas finir à sa voisine.

Dans ce monde à l’envers, l’Italie gonflée de terres qui ne lui appartiennent pas, dénonce contre toute logique l’hégémonisme de la France -qui ne fait que réclamer son dû!- et soutient l’indépendance du «peuple du Midi» dont elle gave les chefs «dispatchés» aux quatre coins pour les besoins marketing de la cause, en tenant en otage les populations vulnérables dans des camps au mont Ventoux.

Le Portugal, au terme de décennies de manigances et de tergiversations, finit par se rallier à la proposition d’autonomie en tant que base sérieuse pour résoudre le conflit.

L’Espagne enfin, désireuse de satisfaire ses intérêts partout où cela est permis, agite l’illusion de la neutralité en jouant un double-jeu ambigu afin de ménager la chèvre et le chou.

Comparaison n’est pas raison mais, avec le Sahara, c’est grosso modo le même topo!

Ce qui est valable pour la France dans cette histoire de fous est valable pour le Maroc dans les faits. A moins de vouloir entretenir encore et partout en Afrique le mythe euro-centriste d’un territoire sans maître où la propriété aurait été totalement inconnue, où les populations seraient toutes réduites à un ramassis de clans et de tribus sans l’once d’une organisation, où les territoires seraient bons à être charcutés au crayon dans des bureaux feutrés selon le bon vouloir des «Blancs»!

«Modalités du partage de l’Afrique». Le ton était donné dès 1884 avec ce thème à l’ordre du jour de la Conférence de Berlin.

Le Maroc, Etat-nation millénaire, relié au Sahara -berceau de plusieurs dynasties- par toutes formes de liens, est alors l’objet de vocations expansionnistes après l’expédition saharienne du géographe arabisant Emilio Bonneli, de la «Société espagnole des Africanistes et Colonialistes».

Le gouvernement espagnol notifiait alors aux puissances signataires, sa décision de placer sous sa protection, la partie littorale s’étendant de Cap Boujdour au Cap Blanc avec, pour chef-lieu, la presqu’île de Dakhla.

Ces prétentions ne se firent pas sans les réactions des tribus qui assaillirent la factorerie en 1885 et poursuivirent les attaques, menant les Espagnols à contester officiellement auprès du Sultan dans une reconnaissance manifeste de souveraineté.

Sans oublier la réaction de Moulay Hassan 1er, qui avait envoyé des émissaires aux tribus sahariennes, une protestation au gouvernement de Madrid ainsi qu’une note circulaire à tous les représentants des Etats étrangers à Tanger.

Il a fallu attendre 1916 pour assister à la prise effective de Tarfaya par l’Espagne, tandis que Sidi Ifni est occupé en 1934 au terme de moult tractations avec la France visant à «mettre en harmonie leurs intérêts au Maroc» (dixit les termes officiels de la convention de Madrid de 1912).

Ça, c’est globalement pour le Sahara marocain dans sa frange occidentale, occupée par l’Espagne et prise en tenaille au nord et au sud par la France depuis qu’elle avait occupé la Mauritanie actuelle, administrée ensuite depuis Saint-Louis du Sénégal.

A l’Est, la France, maîtresse absolue en Algérie, avait profité du traité de Lalla Maghnia, consécutif à la défaite du Maroc à la bataille d’Isly dans laquelle le Royaume s’était engagé dans la défense de la dignité et de la liberté de son voisin, pour l’amputer de facto d’une partie de son territoire à son profit direct puis à celui de son héritier.

Le flou maintenu au sud, semait en même temps les graines de conflits frontaliers ultérieurs et ouvrait la voie à l’occupation des oasis du Tidikelt, du Gourara et du Touat, confortée par le partage des sphères d’influence avec les Anglais dans la boucle du Niger et poussée ardemment, dans une logique autant terrienne que sécuritaire, par le parti colonial.

A propos de son chef, Etienne Eugène, Oranais de naissance, nous pouvons lire de la plume de l’historienne Julie d’Andurain dans sa contribution sur «Le poids du comité du Maroc et du parti colonial dans la Société de l'histoire des colonies françaises», que «c’est en «Algérien» qu’il conçoit la conquête du Maroc», (…) car il estime que «la France a au Maroc des droits et des devoirs supérieurs à ceux de toute autre puissance, même à ceux de l’Espagne (…). La cause première de nos droits, leur raison d’être présente et future est toujours là, solide et vivante, c’est l’Algérie. L’Algérie nous a conduit en Tunisie, elle doit plus justement, quoique plus difficilement sans doute, nous conduire au Maroc».

Là, «les Divisions d'Oran et d'Alger du 19e Corps d'armée, rappelle pour sa part le professeur Claude Lefébure, n'ont pu conquérir le Touat et le Gourara qu'au prix de durs combats menés contre les semi-nomades d'obédience marocaine qui, depuis plus d'un siècle, imposaient leur protection aux oasiens».

Car pour ne parler que du Touat et pour reprendre cette fois Charles-André Julien dans son ouvrage «Le Maroc, face aux impérialismes»: «jamais les Turcs, maîtres de l'Algérie, n'y avaient exercé même un contrôle. En revanche, les actes d'allégeance au sultan abondaient et ne laissaient aucun doute sur la reconnaissance de sa souveraineté par les oasis, même si elles se montraient rebelles à l'impôt. Les démarches faites par le Quai d'Orsay auprès du makhzen pour autoriser l'explorateur Duveyrier à séjourner au Touat; la demande des Chambres de commerce d'Algérie d'y envoyer un consul; l'emploi par le ministre de France à Tanger, Tissot, de la formule «l'oasis marocaine du Touat»; la cartographie et le jugement de 1885 du plus grand géographe français Élisée Reclus faisaient foi, aussi Moulay Hassan ne cessa-t-il pas d'affirmer ses droits...».

Aujourd’hui comme hier, ces droits ne peuvent être qu’affirmés haut et fort devant le déni de tant de spoliations –qui vont se poursuivre jusqu’à la prise de Tindouf en 1934- devant tant de nuisances et d’hypocrisie.

Quand on sait que les frontières ont été tracées arbitrairement au crayon, au mépris des populations, parler de droit de «peuple sahraoui» au sud du Maroc, alors que le Sahara s’étend sur le territoire de dix pays, est aussi absurde que la théorie d’un «peuple du Midi».

La révélation des archives suffirait à elle seule à remettre les pendules à l’heure.

La responsabilité historique n’en demeure pas moins entière, et tout atermoiement diplomatique actuel peut être interprété comme une duplicité nuisant à un partenariat durable, et comme une entrave sournoise au règlement pacifique des conflits dans une logique néocolonialiste, qui ne trompe plus personne.

Par Mouna Hachim
Le 27/08/2022 à 11h00