C’était au mois de juillet dans le Rif: le désastre espagnol au Ravin-du-Loup

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ChroniqueOn connaît la bataille d’Anoual mais douze années auparavant, le précurseur de la guerre du Rif, Sidi Mohand Ameziane, infligeait une cuisante défaite aux troupes espagnoles, ravivant les émeutes de la Semaine Tragique de Barcelone…

Le 23/07/2022 à 11h01

Avec Anoual, c’est une des défaites les plus douloureuses pour les Espagnols qui la nomment «El Desastre del barranco del lobo». 

Côté marocain, c’est la bataille d’Ighzer n’Ouchen qui s’est déroulée le 27 juillet 1909 dans un ravin près de la hauteur de Beni Ensar dans le Rif oriental.

Toute cette région, bien ancrée dans l’histoire, est marquée par une forte résistance contre l’occupation ibère, principalement depuis la prise de Melilia en 1497.

Plusieurs forteresses se sont constituées alors en monastères militaires et en hauts lieux de la guerre sainte.

C’est le cas pour Qasbat Jnada, accoudée à une colline à proximité de Melilia, base des opérations dirigées par Ali Attar Andaloussi, chef des moujahidine chargé par le sultan ouattasside Mohamed Cheikh de missions militaires dont la tentative de récupérer Melilia.

En 1863, à la suite de la guerre de Tétouan et du traité de Wad-Ras dont une des clauses porte sur l'extension des limites du préside occupé, la reine Isabelle II exigea par décret impérial, la destruction de Qasbat Jnada (dite aussi Ribat Melilila), non sans conflit avec les populations alentour.

L’exacerbation des relations atteignit son paroxysme en 1893 avec la construction par les Espagnols d’une fortification entourant la ville, englobant le périmètre sacré du cimetière du santon adulé de Sidi Ouariach.

Les récits rapportent que les soldats avaient utilisé l’eau de la fontaine du sanctuaire pour les besoins des travaux, voire même qu’ils l’avaient profanée de vile manière.

La conséquence des provocations et des escarmouches aboutit à la bataille de Sidi Ouariach, dite par les Espagnols, Bataille de Margallo, du nom du général, commandant la place de Melilia, Juan Garcia Margallo, mort de plusieurs balles.

Il a fallu une lourde campagne militaire espagnole pour tenter de neutraliser la résistance rifaine qui se poursuivra sur d’autres fronts…

En ce début de XXe siècle, la situation au Maroc était marquée dès l’an 1900 par la conquête française des oasis sahariennes orientales (Touat, Gourara, Tidiklet etc.), la pénétration espagnole sur le littoral saharien, la conférence d’Algésiras en 1906, l’abus des protections étrangères et leur renforcement des pouvoirs féodaux, le marasme économique, l’évasion fiscale, les emprunts extérieurs et tous les troubles sociaux et révoltes populaires qui résultèrent de cette situation générale.

Parmi les dangereuses révoltes figure celle menée par Jilali Zerhouni, surnommé Bou-Hmara (l’Homme à l’ânesse).

Personnage énigmatique au teint pâle, à la corpulence chétive et aux manières raffinées, il se présentait comme Moulay Mhamed, un des fils du sultan Moulay Hassan.

Il draina en tous les cas des sympathisants dans ses prêches contre le pouvoir et contre la situation politique sous le joug impérialiste et colonial.

Malgré les différentes batailles, il ne put être délogé qu’en 1908 de sa capitale à Selouane par une armée de tribus rifaines coalisées sous la direction du grand chef charismatique, Sidi Mohand Ameziane. Prélude à sa capture par le Makhzen, au supplice infligé à ses partisans et à son exécution après avoir été baladé dans une cage…

C’est que Rogui Bou-Hmara n’avait pas hésité à révéler son véritable visage même à ses ouailles et à se muer, de prétendu libérateur à traître, négociant l’exploitation des gisements miniers de fer et de plomb pour le compte des Français et des Espagnols qui le fournissaient en argent et en armements.

En juin 1909, la compagnie Las Minas del Rif (dont le conseil d'administration était composé de membres de l'élite espagnole, ministres, aristocrates et financiers), reprenait ses travaux liés à l’exploitation argentifère et à la ligne de chemin de fer reliant les mines de Beni-Bou-Ifrour-Ouiksane jusqu’à Melilia.

La réaction était inévitable.

Au début du mois de juillet commençait le soulèvement des tribus dirigées par Sidi Mohand Ameziane, suivi d’attaques contre les intérêts industriels notamment le 9 juillet à Sidi Moussa.

Deux jours plus tard, le gouvernement conservateur d’Antonio Maura décrétait la mobilisation générale des réservistes. Non sans protestations populaires (les nantis pouvant injustement échapper à la conscription par le versement de 1 500 pesetas) et non sans émeutes et grève générale, massivement suivie en Catalogne contre la guerre…

Sur le front, dans le Rif, les troupes espagnoles ayant engagé une rude bataille le 23 juillet dans la colline d’Aït Aïcha, se virent renforcer deux jours plus tard par le débarquement de la 1ère brigade de chasseurs sous les ordres du général Guillermo Pintos.

Alors que les combats se déroulaient le 27 juillet près de la voie ferrée sur les pentes du mont Gourougou, l'aile gauche de la colonne espagnole, formée de six bataillons, fut prise en embuscade sur les contreforts sud dudit mont, au Ravin-du-Loup.

Objets de tirs précis par les Rifains qui contrôlaient les hauteurs, ils tentèrent une retraite chaotique se soldant par la mort de dizaines de soldats.

Les chiffres, imprécis, évoquent jusqu’à 1046 victimes espagnoles en tout durant cette journée du 27 juillet.

«Des jeunes enlevés de leur vie quotidienne, de courir après les jupes et les amours, de collecter des pièces pour une cigarette, de faire des plans fantaisistes, écrit l’historien d’origine néerlandaise natif du pays basque, Álvaro van den Brule. Ils avaient laissé leurs corps dans cet endroit perdu et abandonné, pour mourir au nom de l'ambition immorale de ceux d'en haut».

Mais la bataille connut aussi la mort de nombreux gradés dont le général Pintos, tué d’une balle dans la tête; tandis que le héros de la résistance rifaine, Sidi Mohand Ameziane, précurseur de la guerre du Rif, aura enregistré des dizaines de batailles, poursuivant le combat qu’à sa mort au champ d’honneur en 1912 à la Bataille d’El-Hmam.

En Espagne, avec les nouvelles des pertes humaines, l’insurrection lancée à Barcelone le 26 juillet dégénéra en Semaine Tragique avec son lot de violences anticléricales; l’Eglise ayant toujours apporté son soutien au pouvoir.

La Semana Trágica fut accompagnée d’une féroce répression gouvernementale, la mort de près d’une centaine de civils, ainsi que de lourdes peines et d’exécutions sommaires, dont celle retentissante sur le plan mondial, du pédagogue libre-penseur Francisco Ferrer.

Bien plus d’un siècle plus tard, est-il nécessaire de revenir sur toutes ces pages d’histoire?

Assurément oui, de part et d’autre, ne serait-ce que pour le devoir de mémoire.

Il est fondamental, déclarait l’historienne spécialiste du Rif, María Rosa de Madariaga à l’agence EFE, que les relations entre l'Espagne et le Maroc soient fondées sur la compréhension mutuelle et un désir croissant d'apprendre comme condition essentielle.

Par Mouna Hachim
Le 23/07/2022 à 11h01