A la fin du mois de décembre 2011 et au début de l’année 2012, l’Algérie a connu des évènements provoqués par l’augmentation du prix de la farine et des aliments de base. Comme en Tunisie, une vague d’immolations par le feu s’y produisit alors:
- Le 12 janvier 2012 dans l'enceinte de la sous-préfecture de Bordj Menaïel,
- le 14 devant un commissariat de police de la ville de Jijel,
- le 15 janvier devant la mairie de la ville minière de Boukhadra,
- le 16 devant le siège de la sûreté de la wilaya de Mostaganem,
- le 17 dans l'enceinte du siège de l'assemblée départementale dans la région d'El Oued; le même jour une femme tenta de s'immoler en pleine Assemblée populaire communale de la localité de Sidi Ali Benyoub, à quelque 450 km au sud-ouest d'Alger.
Cependant, échaudés par l’échec du «printemps berbère» puis par celui de l’expérience démocratique des années 1990 qui déboucha sur une atroce guerre civile, les Algériens choisirent la stabilité. Sans même sanctionner l’ancien parti unique, le FLN, qui remporta une nette victoire lors des élections législatives du mois de mai 2012. Les Algériens ne demandèrent pas davantage le départ du président Bouteflika et cela une fois encore à la différence des Tunisiens avec Ben Ali et des Egyptiens avec Hosni Moubarak.
Les révoltes populaires qui étaient pourtant permanentes et multiples ne s’engerbèrent donc pas dans un mouvement révolutionnaire, restant au stade de simples mouvements sociaux. Le phénomène a bien été mis en évidence par Louisa Dris-Aït Hamadouche:
«Ceux qui ont cru à un effet boule de neige ont omis le caractère redondant et finalement banal des émeutes, au point qu’elles sont comparées, non sans ironie, à un sport national: 30 wilayas touchées en 2002, les 48 que compte le pays en 2011. En 2010, la gendarmerie a reconnu 10 000 mouvements sociaux dans tout le pays (…) Ces émeutes sont spectaculaires de prime abord, mais de courte durée, de faible intensité et géographiquement circonscrites. Elles peuvent aussi survenir au moindre prétexte, tel un match de football, une distribution de logements, une coupure d’électricité ou même un permis de conduire retiré». (Dris-Aït Hamadouche, 2012).
L’ébullition sociale du mois de décembre 2011 et du début du mois de janvier 2012 cessa spontanément, les autorités ayant eu les moyens d’acheter la paix sociale grâce aux flots de devises provenant du pétrole et du gaz. Perfusées de subventions, les catégories sociales les plus démunies ne cherchèrent donc pas à provoquer une révolution. Les autorités réussirent à empêcher les nombreux mouvements sociaux de coaguler pour se transformer en lame de fond contestataire. L’explication est que l’Etat a acheté la paix sociale en consacrant annuellement 20% de ses dépenses au soutien à l’habitat, aux familles, aux retraites, à la santé, aux anciens combattants et aux démunis.
Or, cette politique fut rendue possible grâce aux réserves de devises dues à la rente gazière et pétrolière. La chance du régime algérien fut également qu’à la différence de la Tunisie et surtout de l’Egypte, à la fin de l’année 2011, les indicateurs économiques étaient bons:
- La croissance du pays se situait autour de 5%,
- l’Algérie disposait de très importantes réserves financières qui la mettaient en principe à l’abri de tout évènement majeur,
- les exportations étaient en hausse de plus de 15% par rapport à 2010 en raison de l’envolée des cours du pétrole.
Appuyé sur son épais matelas de devises, le «Système» réussit donc à calmer les revendications en subventionnant les produits de première nécessité comme le blé, le lait, le sucre et l’huile, en augmentant les salaires des fonctionnaires et des agents du service public et en supprimant plusieurs taxes impopulaires.
Ces mesures sociales furent reconduites en 2012. Comme le gouvernement avait construit sa loi de finances sur la base d’un baril de pétrole à moins de 40 dollars alors que les prix étaient égaux ou supérieurs à 100 dollars, l’Algérie disposait donc d’une réserve considérable permettant de calmer la grogne sociale.