Nous avons vu dans ma dernière chronique pourquoi, au sud du Sahara, un divorce s’est produit entre la nation «charnelle» qui est l’ethnie, et la nation juridique importée qui est l’Etat, et pourquoi le placage démocratique s’est donc traduit par une multiplication des crises.
L’Etat ethnique contre l’Etat-nation
La question de la redéfinition de l'Etat, donc celle de la place des ethnies dans la société, constitue le principal problème politique et institutionnel que l'Afrique sud-saharienne doit résoudre. Mais, pour cela, il ne faut évidemment pas commencer par nier la réalité ethnique.
Or, alors que la construction de l’Etat postcolonial passait par la reconnaissance de cette dernière, elle a, tout au contraire, été bannie des études africaines car jugée trop étrangère à la conception matérialiste de l’histoire ou à l’universalisme idéologique. La nécessité de dépasser l’apparence des évènements imposant de raisonner en termes de «conditions objectives», de «contradictions», de «classes sociales», le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes de la seconde moitié du XXe siècle fut donc le refus de l’évidence ethnique. Certains allèrent même jusqu’à soutenir que les ethnies ont une origine coloniale…
Or, le problème politique africain se résume à une grande question: comment éviter que les peuples les plus prolifiques soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages?
Tant qu’une réponse n’aura pas été donnée à cette question, les Etats africains seront perçus comme des corps étrangers prédateurs par une large partie de leurs propres «citoyens».
Les Etats issus de la décolonisation n’ont, en effet, pas réussi à inventer un moyen de représentation ou d’association au pouvoir des peuples démographiquement minoritaires. Or, souvent, ces derniers étaient les dominants de l’époque d’avant la colonisation, comme les Tutsi, les Touareg, les Peul, etc. Ecartés du pouvoir, ils n’ont d’autre choix que la soumission ou la révolte, deux notions peu porteuses de potentialités fusionnelles nationales…
La solution existe pourtant. Elle réside dans un système dans lequel la représentation irait d’abord aux groupes et non plus aux individus, le principe constitutionnel de base étant alors celui de l’égalité des ethnies et de leur représentation. Dans ce type d’organisation, l’Etat-nation de type européen serait remplacé par l’Etat ethnique avec «présidence tournante», le chef de l’Etat étant officiellement élu ou désigné par son ethnie au terme d’un débat interne et pour un mandat unique.
Deux problèmes se posent cependant et ils sont insolubles:
1- Les ethnies les plus nombreuses n’accepteront jamais de renoncer à un pouvoir fondé sur le «one man, one vote» qui leur garantit pour l’éternité une rente de situation tirée de leur démographie dominante et que le principe d'«un peuple (une ethnie), une voix» leur ferait perdre.
2- Les gardiens «occidentaux» du dogme démocratique refuseront cette révolution culturelle, qui saperait les fondements de leur propre philosophie politique universaliste.