Plus de la moitié des 10 ans est illettrée. L’illettré a été scolarisé, mais est incapable de lire et d’écrire un texte simple. L’analphabète, lui, n’a jamais été à l’école. Pourquoi après 5 ans d’études au primaire, un élève peine-t-il à lire et à écrire?
L’analphabétisme des parents, l’incompétence de nombreux enseignants, une pédagogie basée sur la violence verbale et physique et sur la mémorisation. Des conditions d’accueil et de travail déplorables : l’école marocaine publique n’est pas attractive, surtout dans les petites villes et les campagnes. Un programme surchargé, abrutissant et non épanouissant…
J’ajouterais un élément dont on ne parle pas, au risque de m’attirer les foudres des fanatiques de la langue arabe. Ceux qui l’ont sacralisée, car c’est la langue du Coran. Une confusion entre l’outil de communication et le message de l’Islam, alors que seuls 20% des musulmans sont arabes. La majorité est asiatique.
Malgré sa beauté et sa richesse, l’arabe classique n’est pas une langue vivante car elle est écrite et non parlée.
Une langue est dite vivante quand elle est parlée au quotidien, spontanément. Les difficultés de l’apprentissage viennent de là: notre langue maternelle n’est pas notre langue d’écriture.
Un enfant de 7 ans est scolarisé dans une langue différente de sa langue-mère. Il y a un écart énorme entre darija (dialecte) et l’arabe classique. Pour l’enfant amazigh, c’est pire. Un Français ou un Anglais étudie dans la langue que l’on parle chez lui. Il apprend à écrire des mots qu’il utilise tous les jours pour exprimer ses émotions, ses besoins… L’enfant marocain, comme tous les enfants arabes, apprend l’alphabet arabe, mais il est incapable de s’exprimer par écrit. L’enseignant lui parle dans une langue qu’il ne comprend pas et de retour chez lui, sa famille lui parle en darija.
Un Français ou un Espagnol, après 4 ans d’étude, peut lire et écrire des textes simples. Car les lettres de l’alphabet lui permettent de transcrire la langue avec laquelle il s’exprime au quotidien. Le Marocain maîtrise les lettres de l’alphabet, mais a du mal à lire et à écrire cette langue qui lui est étrangère.
C’est comme si un Français apprenait à lire et à écrire en latin.
S’y ajoute un problème de taille. L’alphabet arabe est abjad: à l’écrit, il n’y a pas de voyelles, mais juste des consonnes. Dans les langues latines, les voyelles permettent de saisir aussitôt le sens du mot. En arabe, les voyelles ne s’écrivent pas, elles se devinent. Et pour les deviner correctement, 5 années d’études du primaire ne sont pas toujours suffisantes. Il faut maîtriser Ach-chakle, la voyellisation.
D’où la difficulté pour l’enfant qui doit lire et écrire dans une langue qui lui est étrangère, en maitrisant les règles de la voyellisation. Un apprentissage compliqué qui entraine le stress des enseignants, des élèves, des parents… Que d’heures de cours dispensées et d’énergie déployée pour assimiler les règles de voyellisation. La lecture peut aider à acquérir le vocabulaire pour comprendre le texte. Mais les jeunes ne lisent plus. Pour les livres, chaque Marocain dépense en moyenne, par an, 1 dh et il lit en moyenne 2 minutes par an.
La maîtrise de l’arabe est faible, y compris à l’université. Comment en faciliter l’apprentissage ?
Ma proposition? Décider, au niveau des pays arabes, de voyelliser les textes. 80% des informations sont transmises au cerveau par la vision. Si les textes sont voyellisés, l’élève lira facilement et mémorisera vite les règles de voyellisation.
On évitera ainsi les confusions entre les mots. Des expériences ont été menées dans des universités où l’on a donné le même texte non voyellisé à plusieurs étudiants. Les textes rendus, voyellisés, n’avaient pas tous le même sens.
La langue arabe est très subtile, riche en synonymes. Sans voyelles, elle est compliquée. Les jeunes marocains l’ont boudée depuis l’arrivée des smartphones, pour créer une nouvelle transcription: l’arabe dialectal, transcrit en caractères latins. Car sans voyelles, il est impossible de déchiffrer un mot ou une phrase du dialecte écrit en caractères arabes. Le français le permet. Ils ont même ajouté 3 chiffres (3, 7, 9) pour des sons qui n’existent pas en français.
Il serait alors urgent de mener une étude pour comprendre les raisons de la chute de la maitrise de l’arabe. Wissale, professeur d’arabe: «l’apprentissage se faisait avec des textes voyellisés. Depuis des années, la voyellisation a été interdite par le ministère de l’Enseignement. Les livres d’Ahmed Boukmakh permettaient l’assimilation rapide de la base de la langue. La pédagogie actuelle complique l’apprentissage. L’élève doit assimiler grammaire, conjugaison, syntaxe avant d’arriver à voyelliser une phrase. Après 4 ans, il peine à lire et à écrire à cause de cette nouvelle méthode».
Un débat calme et dépassionné est indispensable pour décider (ou pas!) de voyelliser l’écriture arabe, dans, et hors les écoles. Car si tous les écrits étaient voyellisés, les citoyens à peine lettrés pourraient lire les factures, les documents administratifs, suivre facilement des signalisations et maîtriser la base de l’écriture. Le nombre des illettrés chutera considérablement.
* Rapport de la Banque mondiale, sur une étude de 2019.