Aïcha Ech-Chenna est morte, ses idées restent vivantes

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ChroniqueAïcha Ech-Chenna, femme exceptionnelle, est morte. Pas ses idées. Il reste ses idées. Il faut les soutenir et surtout les faire avancer.

Le 01/10/2022 à 08h54

Ceux qui pleurent aujourd’hui Aicha Ech-Chenna, et ils sont nombreux, doivent se poser une question: que pleurent-ils exactement? Ce n’est pas une question piège. Cette femme exceptionnelle a pu, par sa foi en l’homme, conduire un combat qui ne va pas de soi: la cause des mères célibataires. Elle a eu contre elle les islamistes et certains milieux conservateurs, et on connait la férocité de cette frange de la société marocaine quand elle se raidit et prend quelqu’un en grippe. Mais elle a eu aussi, pour ceux qui s’en souviennent, longtemps à lutter contre les rigueurs de l’administration marocaine, qui ne la portait pas vraiment dans le cœur.

Il faut lire «Miseria» (Le Fennec, 1996), ce récit poignant dans lequel elle répertorie une partie de ses problèmes. S’il ressort aujourd’hui, il ferait un carton plus retentissant encore qu’à l’époque. Ce livre, c’est l’envers du décor, on le lit avec l’impression de marcher dans la boue et avec zéro oxygène.

«Mais qu’est-ce que c’est que cette bonne femme qui veut remuer la (…)?». Telle était la question – leitmotiv d’une partie du système Basri, qui voyait en elle un potentiel de fitna sociale. C’était dans les années 1980, au moment où la société civile avait encore du mal à exister, parce que les autorités marocaines considéraient que tout ce qui bougeait était subversif, et il fallait tuer l’espoir dans l’œuf.

Il ne faut pas oublier ce passé. Ne serait-ce que pour mesurer le chemin accompli par cette femme de cœur que rien, absolument rien ne décourageait. Et ce n’est peut-être que dans les années 2000, avec une nouvelle ère et de nouvelles générations de militant(e)s que madame Ech-Chenna est définitivement passée du statut d’icone underground à celui, plus consensuel, de «maman de tous et pour tous» que personne n’ose plus remettre en cause. Ou presque!

Il était littéralement impossible de ne pas aimer cette dame. Alors tout le monde l’a aimée, mais sans toujours épouser sa cause, ses convictions. C’est là un paradoxe. C’est pour cela qu’il est important de rester vigilants, de continuer le combat.

Madame Ech-Chenna nous laisse en héritage une association remarquable, Solidarité féminine, qui continue d’écumer la «miseria» de ce pays pour essayer de le rendre plus vivable pour des milliers de mères célibataires et d’enfants que la société regarde généralement de travers. Ce boulot doit continuer et se renforcer, c’est l’une des tâches les plus nobles dans le Maroc actuel.

Le combat de Madame Ech-Chenna était aussi, ne l’oublions pas, au carrefour de plusieurs sujets qui fâchent: avortement, adoption, viol, etc. Toutes ces questions restent d’actualité parce que non réglées. Madame Ech-Chenna les a rendues plus visibles, elle a transmis un message d’espoir et sauvé des vies.

Mais les lois écrites et les codes sociaux qui condamnent, qui stigmatisent, qui infériorisent, sont toujours là. Il faut les combattre, les changer, les humaniser, pour continuer le travail inestimable de la regrettée Aïcha Ech-Chenna, que tout Marocain normalement constitué ne peut que sincèrement pleurer. 

Par Karim Boukhari
Le 01/10/2022 à 08h54