Les résultats des concours d’admission aux grandes écoles françaises viennent d’être publiés. Comme c’est le cas depuis plusieurs années, les candidats marocains ont obtenu d’excellents résultats, notamment à Polytechnique où ils trustent les places réservées aux étudiants étrangers. Et la même question revient alors: est-ce une bonne chose? Ne sommes-nous pas en train de transférer de la matière grise vers l’Occident sans aucune contrepartie?
J’ai vécu il y a quelques semaines une saynète révélatrice à cet égard.
J’étais à Londres pour donner une conférence à la London School of Economics. Il y avait là plusieurs étudiants marocains, certainement brillants puisque la LSE est passée en 2024 devant Oxford et Cambridge dans le classement des meilleures universités anglaises établi par le Times: elle occupe la première place.
Après la conférence, je suis resté à bavarder avec les étudiants marocains. Il y avait là un jeune homme qui était déjà entré dans la vie active mais qui était venu en voisin, de la City (le cœur de la finance) pour assister à l’évènement. Je lui demandai quel avait été son cursus. Il était impressionnant: bac Sciences Math’ avec mention à Meknès (ou Fès, je ne suis pas sûr), classes préparatoires scientifiques, Polytechnique, thèse à Normale Sup’ (celle de la rue d’Ulm). Les initiés ont compris: c’est un pedigree de futur Prix Nobel de Physique ou Médaille Fields de mathématiques. Et que faisait-il à Londres?
Trader.
Attendez, je vais mettre quelques points d’exclamation pour exprimer ma stupéfaction et mon indignation.
Trader!!!
Pour ceux qui vivent dans une grotte obscure, dans le désert ou dans un cercle de poètes disparus, précisons qu’un trader est un professionnel qui hante les marchés financiers pour décider, après des analyses pointues, d’acheter ou de vendre des actifs financiers. Il le fait pour son compte ou pour ses clients.
Je dis au grand gaillard souriant (nommons-le Adam):
- Hchouma ‘lik. Sup/ Spé, Polytechnique et Normale Sup’ Ulm pour venir à Londres enrichir des gens déjà riches?
«Que faire de cas comme celui d’Adam? Lier leur droit à passer les concours à une obligation de servir leur pays plus tard, pendant cinq ou huit ans? Considérer que le coût de leurs études dans le public est un prêt à rembourser plus tard?»
— Fouad Laroui
Adam ne sembla pas me tenir rigueur de mon impertinence. Au contraire, il se mit à rire:
- Je m’enrichis aussi.
- Tu es passé par le public ou par le privé, au Maroc?
- Le public.
- Donc ce sont les Marocains qui ont payé tes études et pour les remercier, tu enrichis les Anglais?
- Je me sens bien en Europe.
- Au moins, si tu restes ici, fais plutôt de la recherche pour trouver un traitement contre le cancer ou pour combattre le dérèglement climatique! Tout ce potentiel de réflexion et de travail pour ponctionner de l’argent de la Bourse?
- S’il y a de l’argent à gagner en Bourse, pourquoi le refuserais-je?
J’étais à court d’arguments. Farouche défenseur de la liberté des individus de mener leur vie comme ils l’entendent, je m’en voulais d’avoir apostrophé le natif de Meknès (ou de Fès). Heureusement, il restait souriant et semblait même avoir apprécié notre joute oratoire. Nous allâmes tous ensemble dans un pub voisin consommer divers breuvages (genre jus de pamplemousse).
Mais la question demeure. Que faire de cas comme celui d’Adam? Lier leur droit à passer les concours à une obligation de servir leur pays plus tard, pendant cinq ou huit ans? Considérer que le coût de leurs études dans le public est un prêt à rembourser plus tard?
Vos suggestions sont les bienvenues…






