Un Imam obligé de se dénuder devant les siens à Gaza

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Le témoignage poignant d'un Imam à Gaza contraint, par des soldats israéliens, de se dénuder devant sa femme et ses enfants.

Le 22/08/2014 à 12h55

Il s’appelle Najar, a 55 ans, et est imam à Gaza. Un homme respecté et aimé de tous. Après un long silence dû au traumatisme que lui ont causé, le 22 juillet, des soldats israéliens, il a fini par se confier à Mohammed Omer, un journaliste palestino-néerlandais basé à Gaza. Un témoignage choquant au cours duquel Najjar n’a pu retenir ses larmes et qu’il conclura par ces mots: "Quoi qu’il arrive, je ne pourrai jamais oublier cette humiliation. La honte me poursuivra toute ma vie". Des mots terribles. De ceux que tiennent les personnes violées dans leur intimité et qui ressortent brisées, annihilées, d’une indignité qui ne leur appartient et leur laissera pourtant un insoutenable et irrépressible sentiment de honte, comme Najjar le dit lui-même. Cette honte qui ronge les victimes sans atteindre les bourreaux.

Ce jour-là, les bombes pleuvent quand, à travers les explosions et les cris de terreur, Najjar perçoit des sifflements de tirs. Des tirs qui ciblent sa demeure, viennent s’échouer dans un bruit sourd contre la façade de sa maison, désormais criblée de trous. Des tirs qui résonneront sûrement encore longtemps dans sa tête comme autant de préludes à la violence qu’il allait bientôt vivre. Une violence telle que, rapportera Mohammed Omar, si "Najjar pleure maintenant les plus de 2.000 morts et se désole pour les centaines de milliers de personnes qui n’ont plus de maisons, (…) ce ne sont pas la brutalité et les destructions qui l’ont le plus marqué". C’est cet innommable viol de sa dignité qui a achevé de le détruire. Il est, à ce moment-là, avec sa femme et ses enfants, terrifiés. "Nous avons crié que nous étions des civils. Mais ils ont continué à tirer", confiera à Mohammed Omer Najjar qui, voyant que les tirs ne cessaient pas, criera encore, en hébreu: "Nous sommes des civils, il y a des enfants et des bébés avec nous et nous n’avons pas de lait ni de médicaments".

Compassion?

Mais quelle compassion y avait-il à attendre de soldats qui, depuis le début de ces frappes israéliennes, s’attaquent justement et surtout aux civils? Loin de reculer, les soldats ont intimé à Najjar et ses proches de sortir «un par un»: «Dehors, les soldats ont ordonné à tout le monde de se coucher par terre - les femmes et les enfants d’un côté et les hommes de l’autre - et ont amené d’autres femmes du voisinage au coin de la rue», rapporte le journaliste. Suite à quoi, "devant toutes ces femmes ils m’ont forcé, à la pointe du fusil, à me mettre tout nu», lui confiera l’imam avant d’ajouter, cédant à la montée des larmes: "Je suis un homme respecté, et me retrouver tout nu devant tout le monde est ce qui m’est arrivé de plus humiliant de toute ma vie.» Les autres hommes en présence ont subi le même sort et ont été, comme lui, contraints de se déshabiller et de se tenir ainsi nus et les bras écartés sous les yeux des leurs. Ce jour-là, Najjar l’appellera "Le mardi noir du 22 juillet". "Sans lui permettre de se rhabiller, rapporte encore Mohammed Omer, les soldats lui ont ordonné "d’emmener les femmes et les enfants ailleurs". Le seul endroit possible était la maison de son frère, à deux rues de là, où il espérait qu’ils seraient en sécurité". Najjar y emmènera sa famille, sa mère sur les épaules tant les rues étaient dévastées. Mais, dans la maison de son frère, il trouvera des soldats israéliens affalés sur les lits de la famille et qui sont entrés en fureur en voyant arriver Najjar et sa famille. Najjar qui sera ensuite conduit à la mosquée, en ruine, où il sera cuisiné des heures durant par les soldats qui voulaient lui arracher des informations sur Abu riad et sa famille –«une famille très grande, bien connue à Gaza», précisera Mohammed Omer- et sur la provenance des roquettes lancées sur Israël. Ce à quoi l’Imam a répondu: «Les seules roquettes que je connaisse sont les missiles israéliens des F16 et des drones".

L’horreur ne s’arrêtera pas là. Najjar verra bientôt arriver un bulldozer et son frère, escorté de soldats israéliens qui voyaient en lui le moyen de faire pression sur l’imam, toujours dénudé, pour attirer au dehors la population civile, qui lui faisait confiance et n’hésiterait pas à répondre à son appel. "Les soldats ont ordonné à l’Imam de se rhabiller et l’ont fait sortir avec son frère à la pointe de leurs fusils. Ils ont dit à Najjar de marcher devant eux en direction du centre de la ville et d’appeler tous les habitants pour qu’ils sortent dans la rue et se rendent», rapportera en effet Mohammed Omer. Et, au cas où ils ne répondraient pas à l’appel, les deux frères seraient mis à mort. "Les jeunes sont sortis, ils voyaient l’Iman mais pas les soldats qui s’étaient cachés en attendant que tout le monde sorte. C’est seulement alors que les soldats se sont montrés et ont crié à tout le monde de mettre les mains sur la tête".

Peu de personnes étant sorties de chez elles, comme si elles avaient compris le danger, les soldats intimeront alors à l’imam de lancer, à la mosquée, l’appel à la prière: "Ma gorge était sèche et je n’arrivais pas à appeler les gens à la prière tellement j’étais épuisé par le manque de sommeil et le jeûne, alors le soldat a mis son fusil sur ma tempe et m’a ordonné de dire à tout le monde de sortir", dira l’imam. Les hommes seront alors arrêtés, et l’imam, doublement détruit par la nudité à laquelle on l’avait contraint et ce sentiment de trahison pour avoir attiré les habitants au dehors sous peine de voir son frère se faire exécuter. Son frère chez qui il retournera, sa mère toujours pendue à ses épaules, pour y retrouver des soldats israéliens, toujours là, "couchés partout" et qui avaient "enfermé la famille dans une pièce et gardé le reste de la maison pour eux". Parmi eux, dira encore Najjar, un soldat au téléphone qui disait qu’ils "mettaient Gaza à feu et à sang". Des humiliations qui ne sont pas sans rappeler les stratégies de déshumanisation qui ont accompagné les plus terribles et génocidaires idéologies. Et quand elles sont reproduites par des peuples eux-mêmes victimes des pires violences et qui se trompent de bourreau en reproduisant sur d’autres l’ignominie qu’eux et les leurs ont subie, il y a lieu de parler de pathologie. Une pathologie nourrie et cautionnée par la culpabilité d’un Occident d’une lâcheté sans bornes qui trouve là un exutoire à ses remords.

Par Bouthaina Azami
Le 22/08/2014 à 12h55