Tribune. Tabagisme et amputation d’un membre: un lien de cause à effet

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C’est la maladie de Léo Buerger. Son nom médical, la thromboangéite oblitérante, qui consiste en l’oblitération des petits vaisseaux nourriciers des membres supérieurs et inférieurs. Principal pourvoyeur de cette pathologie handicapante: le tabagisme.

Le 15/05/2022 à 08h00

Cette réalité scientifique vient de nouveau d’être confirmée dans une étude parue dans le magazine marocain d’information médicale (DOCTINews N°153, avril 2022), par l’équipe du service de chirurgie cardiovasculaire du CHU Ibn Rochd de Casablanca.

Le diagnostic de la thromboangéite oblitérante est difficile à affirmer avec certitude en l’absence de marqueurs spécifiques et de facteurs étiologiques identifiés. 

L’arrêt de l’intoxication tabagisme est à la base de sa prise en charge thérapeutique, indiquent les professeurs Ettaoumi et Belmaachi, du service de chirurgie cardiovasculaire du CHU Ibn Rochd de Casablanca.

La thromboangéite oblitérante (TAO) est une maladie vasculaire non athéromateuse (la plaque d'athérome étant un dépôt lipidique sur la surface interne de la paroi des artères). 

La TAO atteint les artères, de petit et de moyen calibre ainsi que les veines et les nerfs des membres supérieurs et inférieurs.

La maladie de Léo Buerger est une pathologie rare et touche essentiellement l’homme de moins de 45 ans.

Il existe d’importantes variations géographiques dans la prévalence, à savoir le nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné. Elle est élevée dans des pays asiatiques, comme le Japon, l’Inde et la Corée.

Dans certains pays, jusqu’à 50% des atteintes artérielles périphériques seraient dues à la thromboangéite oblitérante, selon l’étude des Professeurs Belmaachi et Ettaoumi, tandis qu’en Europe occidentale, cette pathologie provoquerait des atteintes des artères périphériques qui varieraient en 0,5 et 5,6 %.

Et c’est confirmé. Cette pathologie est strictement liée à la consommation tabagique. Et si elle est plus fréquente chez les hommes, la prévalence chez les femmes serait en augmentation.

Nous ne disposons pas au Maroc, où la population des fumeurs et des fumeuses n’est pas négligeable, de statistiques sur cette pathologie grave.

Si l’étiologie principale demeure inconnue, il n’en demeure moins qu’il existe une corrélation presque indissociable entre la thromboangéite oblitérante et la consommation du tabac.

Ce facteur de risque est considéré comme dominant, non seulement lors des manifestations initiales de la maladie, mais aussi lors de poussées récidivantes.

La fréquence de la maladie dépend de l’importance de l’intoxication tabagique. 

L’équipe de chirurgie cardiovasculaire du CHU Ibn Rochd de Casablanca, rappelle également qu’il existe aussi des cas de maladie de Burger associés à l’utilisation de cannabis ou de drogues inhalées.

Même si certaines équipes scientifiques estiment que la maladie de Buerger peut survenir également chez les non-fumeurs, la plupart considèrent que la consommation tabagique est une condition indispensable pour poser le diagnostic.

Comment se révèle la maladie de Buerger?Il faut savoir que la maladie atteint typiquement des hommes jeunes, avec un début des symptômes avant l’âge de 40-50 ans. Tous fumeurs.

Généralement l’artériopathie (atteinte des artères) est révélée par une sensation de froideur, d’engourdissement, un phénomène de Raynaud des pieds, des mains, voire de l’ensemble des membres inférieurs ou supérieurs.

Le phénomène de Raynaud étant un trouble réversible de la circulation sanguine au niveau des extrémités, principalement les doigts, plus rarement les orteils et parfois le nez et les oreilles.

Avec la progression de la maladie, une ischémie critique peut survenir, à savoir une insuffisance voire un arrêt de la circulation ou de l’irrigation du sanguine.

Des troubles trophiques, accompagnés généralement de douleurs intenses, sont le plus souvent révélateurs.

Il est donc fondamental, à ce stade, de faire de larges investigations, notamment des radiologies qui évaluent l’état de la vascularisation des quatre membres, supérieurs et inférieurs, car il y a un risque de propagation de l’atteinte vers d’autres territoires vasculaires, cérébraux, coronariens, rénaux, pulmonaires voire rétiniens. 

L’échographie Doppler, l’angio-tomodensitométrie ou l’angio-IRM des membres, peuvent montrer des lésions discales évocatrices de la maladie à des stades avancés, indique le Dr Bounhir Boumehdi, radiologue.

Il y a plusieurs familles de médicaments pour essayer de stopper l’évolution de la maladie de Buerger, mais leur efficacité est limitée.

Il y a le recours à des tentatives de pontages vasculaires pour court-circuiter les zones vasculaires obstruées, et éviter de la sorte l’amputation, mais les chances de succès restent faibles. 

La seule stratégie efficace pour prévenir la progression de la maladie et éviter l’amputation est l’arrêt de l’intoxication tabagique.

Par conséquent, les patients doivent se voir proposer un suivi comportant une consultation spécialisée en tabacologie et un soutien psychologique.

En effet, même la consommation d’une ou deux cigarettes par jour peut maintenir la maladie en activité.

Ainsi, conclut l’étude des professeurs Ettaoumi et Belmaachi du CHU Ibn Rochd de Casablanca, parmi les 120 patients suivis pour une maladie de Buerger, 43% ont arrêté de fumer après une moyenne de 7,6 années de suivi.

En l’absence de gangrène au moment de l’arrêt de fumer, l’amputation n’a pas été nécessaire. De ce fait, 94% des patients qui ont arrêté de fumer ont évité l’amputation.

Par Anwar Cherkaoui
Le 15/05/2022 à 08h00