Tribune. Plaidoyer pour développer la greffe rénale au Maroc

Le chirurgien Mario Alvarez Maestro et son équipe effectuent une transplantation rénale sur un patient, à l'hôpital La Paz de Madrid, en Espagne (photographie d'archives prise le 28 février 2017).

Le chirurgien Mario Alvarez Maestro et son équipe effectuent une transplantation rénale sur un patient, à l'hôpital La Paz de Madrid, en Espagne (photographie d'archives prise le 28 février 2017). . PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

A la fin, seul le développement de la greffe rénale dans notre pays, comme c’est le cas dans des pays européens, du Moyen Orient et du Maghreb, est capable de révolutionner la vie d’un malade souffrant d’insuffisance rénale terminale.

Le 01/08/2021 à 11h27

Aujourd’hui, au Maroc, 32 000 personnes sont dialysées (900 pour 1 million d’habitants) dans plus de 400 centres d’hémodialyse à travers le Royaume. Selon un travail scientifique récent de la société Marocaine de néphrologie, ils seront bientôt 40 000. Cela exige un budget colossal. Seule alternative, le développement de la greffe rénale au Maroc. A titre de comparaison, selon le centre saoudien de transplantation d’organe (Scott), entre 1986 et 2016, 13 174 greffes de reins ont été effectuées en Arabie Saoudite, alors qu’au Maroc, on a à peine atteint 600 transplantations rénales. 

Un homme, une femme ou un enfant qui sont sous dialyse, c’est tout un programme de vie. L’obligation de se soumettre à une machine. 3 fois par semaine, pendant 3 à 4 heures chaque séance.

C’est adopter un régime alimentaire adapté. Les habitudes de la vie quotidienne sont chamboulées: école, travail, loisirs, vie de famille…

La vie d’un hémodialysé est rythmée par les séances de dialyse. Ses frustrations sont nombreuses. La Dr Intissar Haddiya, professeur de néphrologie à la Faculté de médecine d’Oujda, les a décrites à travers les personnages de son roman «Si Dieu nous prête vie». On y rencontre Chérif, Maryam, Sadiaa, Mohcine, Nadia, Zoubida avec leurs joies, mais surtout leurs peines, leurs passions, leurs peurs et leurs angoisses.

C’est le renoncement aux plaisirs de la vie qui semble le plus difficile: boire; uriner, c’est décrit dans le roman comme un plaisir perdu par les patients dialysés. Manger normalement, voyager ou avoir des enfants.

La dialyse rénale c’est aussi des scènes émouvantes et éprouvantes pour le malade, sa famille et pour l’équipe soignante.

C'est la maman qui propose tout de suite de donner un rein. C’est le mari qui quitte son épouse malade et la prive de la couverture sociale. Et donc, la mort au bout du chemin. C'est la famille qui quitte sa campagne natale pour que l’un de ses membres puisse avoir accès au centre de dialyse en ville. Et cela en vendant le seul bout de terrain en leur possession.

C'est le frère qui refuse d’accepter le principe d’une liste d’attente de dialyse et menace les soignants. C'est la fille d’une dialysée qui crée une association pour venir en aide aux insuffisants rénaux.

C'est la maman qui parle de son fils de 40 ans en dialyse comme s’il s’agissait d’un petit enfant. C'est le couple qui culpabilise en apprenant le diagnostic de maladie rénale héréditaire chez le fils. C'est un père de famille qui décide de vendre le domicile familial pour subvenir aux besoins de son fils malade.

C'est un autre père de famille malade, sans couverture sociale, qui renonce aux soins parce qu’il refuse de dépenser l’héritage de ses enfants. C’est ainsi que décrit Pr Tariq Sqalli Houssaini, chef de service de néphrologie au CHU Hassan II de Fès, le vécu quotidien des patients sous dialyse.

Selon les données récentes de la société marocaine de néphrologie (SMN), le Maroc a fourni des efforts considérables dans la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale comme en témoigne l’augmentation d’environ 12% par an du nombre de patients en dialyse par an depuis 2004 pour dépasser actuellement les 32 000 dialysés (environ 900 par million d’habitants) dans plus de 400 centres d’hémodialyse à travers toutes les villes du Royaume.

Ceci ne suffit pourtant pas à satisfaire tous les besoins à cause de l’augmentation soutenue du nombre de patients arrivant chaque année au stade terminal de l’insuffisance rénale chronique, particulièrement parmi les diabétiques et les hypertendus.

L’amélioration de l’offre de soins en amont à travers des programmes de prévention primaire et secondaire est donc indispensable, souligne le Pr Sqalli.

Par ailleurs, un système basé sur l’hémodialyse comme moyen quasi-exclusif de prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale ne peut pas être viable à long terme.

En effet, une cinquantaine de patients seulement bénéficient d’une transplantation rénale chaque année au Maroc, ce qui ne représente que 0,16% du nombre de patients dialysés.

Enfin, seuls environ 250 patients sont en dialyse péritonéale (une autre technique de dialyse), ce qui correspond à 0,7% de l’ensemble des dialysés au Maroc contre 11% à l’échelle internationale.

Les 156 séances d’hémodialyse par an pendant des années sont autant d’occasions de tisser des relations humaines au-delà de la relation soignant-soigné, indique le chef de service de néphrologie-hémodialyse du CHU de Fès.

L’hémodialysé passe plus de 15 heures par semaine dans le centre d’hémodialyse si on comptabilise les 4 heures de la séance elle-même et un minimum d’une heure autour de la séance, et cela trois fois par semaine.

Les relations qui en découlent sont diverses et variées. Le soignant peut représenter pour certains patients une figure d’autorité, surtout au début de la relation, avant que celle-ci n’évolue en mêlant deux dimensions contradictoires, mais fondamentalement imbriquées, que sont la recherche de proximité d’une part et la mise à distance d’autre part.

Mais au fil du temps, cette évolution implique un repositionnement des rôles. Le patient sait mieux que personne comment il vit sa maladie. Son regard sur le centre de dialyse et ses prestations est celui du client. On ne peut le soigner et progresser qu’avec lui. Le professionnel de santé, de son côté, ne décide plus tout seul, mais cherche davantage à collaborer avec le patient.

A la fin, seul le développement de la greffe rénale dans notre pays, comme c’est le cas dans des pays européens, du Moyen Orient et du Maghreb, est capable de révolutionner la vie d’un malade souffrant d’insuffisance rénale terminale.

D’un être humain dépendant à vie d’une machine, il devient une personne libre de tous ses mouvements. C’est un droit légitime de tous les patients dont les reins ne fonctionnent plus.

D’autant plus que le chemin est balisé. Existence d’équipes médicales et chirurgicales rodées et reconnues mondialement. Et les textes législatifs et religieux sont pour le don d’organes. Donc, aucun obstacle technique. C’est le politique qui ne suit pas.

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 01/08/2021 à 11h27