Il y a des coïncidences qui n’en sont sans doute pas.
Quand en moins d’une semaine, trois jeunes femmes, dans trois villes différentes, me tiennent le même discours, ce ne peut être une coïncidence.
À Casablanca, à El Jadida, à Tanger, A, B et C (vous ne pensiez tout de même pas que j’allais donner leurs vrais prénoms…) m’ont dit, en gros, ceci:
- Je n’ai aucune envie d’avoir un enfant, je suis très bien comme ça et je jouis pleinement de la vie.
(Précisons tout de suite, pour éviter les malentendus, que ces propos n’avaient rien à voir avec votre serviteur et ne le concernaient d’aucune façon. C’était des discussions à bâtons rompus, dans de beaux endroits, un jus de fruits à la main. Disons qu’il s’agit d’une sorte d’enquête sociologique que je mène depuis quelque temps.)
Cela dit, A, B et C…
Comment? Vous me dites que les désigner par des initiales déshumanise ces dames? Vous exigez des prénoms?
OK, on les nommera Abila, Bibila et Cabila. Ça vous va?
Comment? Vous me dites que ces prénoms ne sont pas sur la liste de Driss Basri? Et alors? Il est mort et enterré, le bonhomme, Dieu ait son âme et Belzébuth sa liste. Je peux continuer?
Abila, doctorante en maths pures, compte faire un post-doc au fameux MIT de Boston après la soutenance de sa thèse. Ensuite, elle parcourra le vaste monde au gré des post-doc, des lectureships, des professorats (sa spécialité est très demandée) et en profitera pour rencontrer des gens divers et intéressants, pour admirer des paysages somptueux, pour explorer des villes mystérieuses; et puis, quand elle en aura assez d’arpenter la planète, elle retournera au pays et s’installera en pleine nature du côté de Ouirgane. L’université de Marrakech ou celle de Benguerir voudront sans doute d’elle, de ses diplômes et des dizaines d’articles qu’elle aura publiés en Europe, aux States ou au Japon.
- Tu vois: pas de place pour un chiard, encore moins pour un deuxième bébé: son père.
Bibila, elle, a déjà goûté au mariage mais ça n’a duré que quelques mois.
- Juste le temps de comprendre une chose: moi, je m’étais mariée par amour, lui par intérêt: il avait besoin d’une cuisinière le jour et d’une poupée la nuit. Quand il a commencé à parler d’avoir des enfants, j’ai compris qu’il s’agissait de m’ajouter une casquette: mère de ses enfants. Trois casquettes pour moi; et lui? Lui, il va tête nue, libre comme l’air, responsable de rien -même pas de moi: je suis indépendante financièrement. J’ai préféré reprendre ma liberté. Et comme je n’ai pas envie d’être mère célibataire dans cette société conservatrice qui est la nôtre, j’ai fait une croix sur la case ‘enfants’. J’en profite pour vivre, voyager, croquer la vie à pleines dents.
Cabila:
- Pendant des années, je me suis sentie coupable de n’avoir aucune envie de faire des enfants. La société te fait croire que tu es un monstre, un être anormal. Les hommes qui s’intéressaient à moi me demandaient, dès la deuxième ou troisième rencontre, combien d’enfants je voulais -sans doute pour vérifier si le nombre correspondait au leur… Et puis j’ai lu un livre d’Élisabeth Badinter, intitulé L’amour en plus, et j’ai compris que l’instinct maternel n’existait pas. C’est juste une construction sociale, qui arrange bien les hommes -ils se servent de cette fiction pour charger les femmes de tout ce qui regarde les enfants. Ça dure toute une existence et ça la gâche parfois. Non, merci. Je suis pharmacienne, je n’ai aucun souci matériel et je profite de mon argent et de ma liberté pour vivre, tout simplement.
Dans les trois cas, à Casablanca, à El Jadida et à Tanger, je n’ai pas fait de commentaire, me contentant de hocher la tête en sirotant mon jus d’orange ou de pêche.
Mais in petto, je pensais à mes frères du sexe laid. Les gars, il va falloir s’adapter à une situation inédite depuis notre ancêtre l’homme de Jbel Irhoud -depuis 300.000 ans donc. Si vous envisagez le conjungo avec une jolie dame du temps présent, il va peut-être vous falloir accepter que contrairement au film de 1988 (avec la charmante Elizabeth McGovern), she’s not having a baby.