Un de mes romans fétiches, Nadja d’André Breton, s’ouvre sur cette interrogation: «Qui suis-je?». Et c’est le point de départ d’une profonde réflexion, entremêlée d’amour-passion et de péripéties diverses. Le tout donna une assise romanesque au surréalisme naissant.
Avec cette première phrase en forme de question, l’écrivain se conformait au fameux précepte gravé sur le fronton du temple de Delphes: «Connais-toi toi-même».
(On peut disserter sur le sens de cette maxime. Signifie-t-elle qu’on ne peut connaître le monde si on ne se connaît d’abord, en tant qu’observateur? Dit-elle que l’introspection est le préalable à l’affirmation de valeurs morales? Nous incite-t-elle, comme le pensait Platon, à faire preuve de modération? Débat pour une autre fois).
Une nation n’est pas un individu. Mais elle serait bien avisée, pour sa pérennité et sa stabilité, de se poser parfois la même question que Breton, mais au pluriel: «Qui sommes-nous?»
Les choses changent, les situations évoluent au cours du temps. Qu’est-ce qui subsiste? On se souvient du «Nous sommes arabes, arabes, arabes!» clamé par Ben Bella en 1962, phrase qu’aucun président algérien ne pourrait prononcer aujourd’hui, vu les douze millions de Kabyles qui peuplent son pays et qui sont fondés à réclamer leur autonomie, voire leur indépendance, si on persiste à nier le simple fait qu’ils existent.
De même, les Espagnols n’ont que très récemment réintégré la part arabo-musulmane de leur identité, après avoir longtemps escamoté huit siècles de leur Histoire dès l’achèvement de la Reconquista en 1492.
En ce qui nous concerne, le deuxième paragraphe du préambule de notre Constitution dit clairement les choses: «(…) le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen». (Peut-être faudrait-il ajouter une phrase à ce beau préambule pour affirmer aussi le caractère atlantique du pays, récemment souligné au plus haut niveau de l’État. Á quand un amendement?)
Inutile de chercher plus loin: la tamaghrabit est ainsi définie juridiquement, par la Constitution. Mais un texte juridique, tout auguste qu’il soit, ça ne craque pas sous la dent, ça n’enchante pas la narine, ça n’ajoute rien au plaisir des yeux. La tamaghrabit, c’est aussi le thé à la menthe autour duquel s’exprime l’hospitalité, le malhoun qui enchante les soirées, les ahwash et ahidous, les chants soufis, le culte des saints qui parsème les paysages de blancs marabouts, les moussems qui rassemblent petits et grands, riches et pauvres, réalisant ainsi une autre valeur, l’inclusion… Mais vous savez tout cela, je ne vous apprends rien; comme vous savez que la tolérance et la solidarité -on l’a vu à la suite du séisme d’Al Haouz- sont également des valeurs à chérir.
La tamaghrabit est l’essence de la civilisation marocaine; mais elle doit en exprimer tous les aspects. Au cours des décennies passées, certains ont voulu nous réduire à un seul aspect de ce que nous sommes. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Baathisme, ethnicisme, extrémisme religieux, régionalisme sont des formes d’amputation de notre identité.
Voici donc la définition qui me semble être la plus générale, la plus pertinente: la tamaghrabit, c’est le refus de nous laisser amputer de la moindre facette de notre identité riche, multiple et diverse. C’est au prix de ce refus que notre identité restera unique.