Demain 14 janvier, pour la première fois de son histoire, le Maroc commémore officiellement le nouvel an amazigh, décrété en mai 2023, par décision royale, «jour férié national officiel payé».
Pour le côté férié, il fallait que ça tombe un dimanche cette année; mais sur le plan du symbole, cette mesure illustre toute l’attention portée à la culture amazighe, en tant que composante fondamentale de notre identité.
Dans toute l’Afrique du Nord, il se trouvait aux côtés du calendrier julien institué à travers l’Empire romain par Jules César, sous les conseils du philosophe et astronome Sosigène d’Alexandrie, un autre calendrier, autrement plus ancien.
Il est scandé par le rythme des saisons et par les différents cycles de la végétation qui déterminent les moments agricoles décisifs, tels les labours, les semailles ou les moissons, évoquant par-là même l’harmonie entre la vie humaine et la vie végétale, soumises toutes les deux aux mêmes lois et aux mêmes vicissitudes.
Le premier jour de l’année de ce calendrier est Yennayer, dont les symbolismes universels de «Porte de l’année» (tawwurt n’useggas) étaient l’occasion de grandes festivités, vivaces dans tout le Maghreb, que ce soit en zones amazighes ou arabes, marquées par plusieurs formes de réjouissances, par des rites de purification ou de renouvellement et par de copieux repas venant placer la nouvelle année sous les meilleurs auspices.
S’il est donc un fait que ce calendrier perpétue un rite agraire dont les origines se perdent dans la nuit des temps, des militants amazighs lui ont choisi comme année zéro l’intronisation du pharaon Sheshonk 1er, il y a de cela quelques 2.974 années.
Question: Qui est donc Sheshonk et en quoi son évocation a valeur de symbole?
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, les Berbères ont peuplé un vaste territoire, allant de l’Atlantique et des îles Canaries à la partie occidentale de la Vallée du Nil et de la Méditerranée, jusqu’au Niger.
En plus de l’art rupestre et autres documents paléoanthropologiques, les Paléo-Berbères de l’Antiquité sont décrits dans les sources égyptiennes puis grecques.
Les tous premiers documents archéologiques égyptiens les mentionnent à l’ouest du Nil sous le nom de Thnw (Tehenu).
Jusqu’au règne de Ramsès II, ils sont représentés comme les «principaux ou plus puissants fauteurs de troubles menaçant le pouvoir égyptien à l’ouest».
Autres grandes tribus protoberbères avec lesquelles l’Égypte était en contact depuis le IIIe millénaire: les Temehu.
Ils apparaissent vers 2300 avant notre ère dans les sources égyptiennes qui les décrit comme étant clairs de peau, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, habitant au voisinage de la Basse-Nubie, souvent combattus par les pharaons du Moyen Empire en raison de leurs comportements belliqueux.
«Sous le Nouvel Empire, précise l’historien Jehan Desanges dans sa contribution sur «Les Protoberbères », ils sont fréquemment représentés et bien reconnaissables à leur natte tressée qui pend devant l’oreille et se recourbe au-dessus de l’épaule. Ils portent souvent des plumes dans leurs cheveux et sont parfois tatoués. Ils sont armés de l’arc, quelques fois de l’épée ou du boomerang. Tous ces traits sont encore signalés par Hérodote au Ve siècle chez les Libyens de Syrtes. On peut donc admettre que les Temehu sont bien les ancêtres des Libyens que les Grecs connurent en Cyrénaïque».
Quant aux Libou, ils figurent auprès des Maschwesch au IIe millénaire, précisément sous le règne du pharaon Mineptah et sont représentés de manière tout aussi batailleuse.
Ils avaient en effet mené, en 1222 av. J.C, auprès des peuples de la mer, une grande coalition, avec à leur tête le Libyen Meryey fils de Ded, soldée par une cuisante défaite.
Infiltrations et déroutes n’arrêtent pas pour autant les Libyens qui profitent de la scission en Egypte pour former une puissance régnante.
C’est là qu’entre en scène Sheshonq 1er!
A la date estimée de 950 avant J.C, ce grand chef de la tribu Maschwesch conquiert le Delta et prend le pouvoir en Égypte avec le titre de pharaon.
Il inaugure de ce fait la XXIIe dynastie d’origine libyque, soit amazighe.
Identifié à Sésac (ou Shishak) de la Bible, dit Shashnaq en amazigh, ses principaux faits d’armes sont, hormis la réunification de l’Egypte, son expédition en Palestine.
Là, Sheshonk l’Ancien s’illustre par son pillage de Jérusalem après avoir emporté plusieurs places-fortes dont Ascalon ou Megiddo.
Le récit détaillé de sa campagne est commémoré dans le portail de Bubastite sur le bas-relief du temple d’Amon à Karnak alors que, dans la Bible, nous pouvons lire:
«La cinquième année du règne de Roboam, Sésac, roi d’Egypte, marcha contre Jérusalem parce qu’ils avaient fait preuve d’infidélité envers l’Eternel.
Il disposait de 1.200 chars et 60.000 cavaliers, et avec lui vint d’Egypte une armée innombrable composée de Libyens, de Troglodytes et d’Éthiopiens.»
Après s’être rendu maître de plusieurs forteresses, il s’avança jusqu’à Jérusalem dont il aurait, toujours selon l’Ancien Testament, «enlevé les trésors de la maison du Seigneur» et ceux du palais de Salomon, dont ses boucliers d’or.
Bien vite, la mort viendra le priver des fruits de ses conquêtes. Mais d’autres rois de sa lignée lui succéderont, tel le pharaon Osorkon II dont les exploits sont abondamment narrés dans les récits égyptiens et dont la statuette en or et lapis-lazuli est visible au musée du Louvre.
Appartenant strictement à l’histoire politique de l’Egypte en dépit de ses origines selon les uns, greffé arbitrairement et idéologiquement à un rite agraire beaucoup plus ancien selon d’autres, Sheshonk incarnerait cependant à lui seul la complexité et la richesse d’une histoire multiséculaire, loin des rapprochements tacites avec une supposée ère de la Jahiliya et totale Ignorance.