L’Etat djihadiste, ses origines et ses menaces

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"L’Etat islamique" djihadiste du sinistre Calife auto proclamé Abou Bakr Al Baghdadi vient de loin. Il faut remonter à des temps où cet individu n’était pas encore né.

Le 24/09/2014 à 06h43

Les catastrophes historiques n’arrivent pas par hasard. Elles ont été préparées, parfois annoncées. On ne peut même pas les comparer à des accidents de l’Histoire. Quand on cherche un peu, on trouve leurs origines, on établit leurs prémisses, on repère les éléments qui les favorisent et les préparent. C’est ainsi, à chaque fois on s’étonne et on crie à l’horreur comme si nous n’avions pas de passé, pas de mémoire.

"L’Etat islamique" djihadiste du sinistre Calife auto proclamé Abou Bakr Al-Baghdadi vient de loin. Il faut remonter à des temps où cet individu n’était pas encore né. Pour faire simple, datons son origine du 29 août 1966, le jour où le président égyptien Nasser a fait pendre Sayd Qotb, un intellectuel opposant et leader du mouvement des Frères musulmans. Un martyr. A l’époque l’islam n’était pas encore utilisé comme arme de guerre. On opposait ses valeurs à celles du progressisme marxisant et surtout totalitaire. Nasser a réprimé avec férocité des milliers d’opposants islamistes ainsi que des démocrates. La Syrie et l’Irak suivaient l’idéologie baasiste qui était vaguement socialiste et surtout totalement laïque. Mais aucun Etat arabe n’était démocratique. Le pouvoir s’héritait de père en fils ou bien on s’en emparait par la violence des coups d’Etat. Grand admirateur de Nasser, le jeune Kadhafi arrive au pouvoir par un coup d’Etat le 29 septembre 1969. Il ne fit pas de son pays un Etat moderne, au contraire, il le maintint dans son aspect tribal et surtout finançait des mouvements terroristes de par le monde.

La deuxième date importante est la naissance de la république islamique d’Iran avec l’arrivée de l’ayatollah Khomeyni qui disait en 1978 que "l’islam est politique ou n’est pas". Au même moment des Afghans chassaient les occupants soviétiques au nom de l’islam. La suite on la connaît. Intervention américaine et émergence des Talibans, précurseurs dans la barbarie ; le sommet en fut la destruction de l’art gréco-bouddhique dit du Gandâra par les Talibans en 1998, ensuite le dynamitage de la statue du grand Bouddha dans la vallée de Bâmiyân en mars 2001. Peu de protestations et surtout aucune réaction officielle dans le monde musulman.

A partir de la fin des années 70, les notions de djihad et de république islamique s’imposent dans les luttes et vont jusqu’à contaminer la révolution palestinienne qui n’utilisait pas la religion et surtout l’islam comme idéologie de combat. Pour isoler Yasser Arafat, Ariel Sharon encourage discrètement la création du Hamas.

Chiites et sunnites s’opposent notamment au Liban où le Hizbollah est très actif, armé et financé par l’Iran à travers son allié syrien présent sur le sol libanais. Aujourd’hui ce mouvement prête main forte à Bachar al Assad contre les rebelles laïcs et démocrates. En même temps, un accord aurait été passé entre al Assad et les leaders des Djihadistes qu’il épargne dans ses bombardements.

Ainsi c’est l’absence d’une démocratie véritable dans le monde arabe et musulman, c’est l’autoritarisme de chefs illégitimes, c’est l’accumulation d’injustices sociales doublées de corruption et d’arbitraire qui vont se conjuguer pour donner naissance à des aberrations comme l’actuel "Etat islamique" qui s’étend dans une partie de l’Irak et de la Syrie et menace les pays de la région. Mais sans l’invasion illégale et insensée de l’Irak par l’armée américaine en mars 2003, ce pays n’aurait pas été ce champ de ruines, plaque du terrorisme international. Ne serait-ce que pour cela, G. W. Bush devrait être jugé par le Tribunal Pénal International. Mais on ne juge pas un ancien président américain.

Le discours d’Al Baghdadi, ses méthodes barbares, son utilisation des médias et réseaux sociaux fascinent et attirent des jeunes non seulement originaires des pays arabes mais aussi des pays européens.

On entend souvent la question qui fait mal : est ce que cette violence est contenue dans l’islam ? On peut répondre en rappelant l’histoire du catholicisme. Mais ce serait esquiver une question embarrassante. Evidemment l’islam prêche la paix et la tolérance, cultive des valeurs humanistes, en même temps il y est question de djihad, de lutte contre les mécréants, d’apostasie et bien d’autres choses qui sont interprétées de manière diverse. Tout est relatif et tout dépend de l’interprétation qu’on donne de tel ou tel verset. N’empêche, jamais l’islam n’a prôné le suicide en vue de provoquer des massacres, jamais l’islam n’a dit qu’il faut prendre des otages et les décapiter, jamais il n’a non plus répandu l’ignorance afin d’égarer les esprits faibles ou malveillants.

Que de crimes sont commis au nom de l’islam. C’est aux musulmans de se mobiliser pour démasquer ces barbares, mais ils ne le font pas parce qu’ils sont dans le doute ou bien ils ont peur ou pire que tout, approuvent ce qui arrive en silence."L’Etat islamique" djihadiste est une menace sérieuse pour tout le monde arabe mais aussi pour l’Europe. Des milliers de jeunes européens dont certains sont d’origine maghrébine, d ‘autres sont des convertis se trouvent actuellement sur le front de la guerre que mène le pseudo calife. Ils retourneront un jour en Europe sans qu’on les repère, sans qu’on le sache, et là ils passeront à l’action. Car dans la tête d’Al Baghdadi et de ses semblables, la lutte contre l’Occident est inévitable ainsi que la lutte contre les Etats arabes non soumis à l’islamisme.

Reste à savoir qui finance, qui arme cet "Etat" sanguinaire ? Il faut rappeler que des Etats du Golfe ont apporté de manière officieuse leur aide à certains mouvements. Ce n’est que dernièrement que l’Arabie Saoudite a condamné officiellement ce "califat" sauvage. Mais des fortunes privées du Qatar et de l’Arabie Saoudite ont été généreuses avec ces combattants pour un islam obscurantiste et totalitaire.

Que faire ? Si l’Amérique et l’Europe ne s’engagent pas davantage, nous verrons dans quelques mois des djihadistes européens semer la terreur dans les villes européennes ainsi qu’au Maghreb. L’islamisme radical a déclaré la guerre à l’Europe et au Maghreb. Les premières frappes américaines et françaises ont commencé. Mais ce serait une erreur de croire qu’elles seront suffisantes afin de mettre hors d’état de nuire Al Baghdadi et ses suiveurs. Il faudrait établir une politique commune entre le monde arabe et l’Occident pour prévenir ces aberrations criminelles.

Il faut prendre au sérieux le discours d’Al Baghdadi. Il a fait ses preuves en décapitant deux malheureux otages. S’il n’est pas combattu avec les armes qu’il faut, s’il n’est pas anéanti militairement, physiquement, il avancera, fera le malheur des pays voisins, enverra ses sbires tuer des innocents à travers le monde. Même si l’islam a bon dos dans cette affaire, il est urgent que les pays musulmans sachent que cet Etat djihadiste est destiné à les déstabiliser, à les ruiner et à les transformer en autant d’enfers.

Une enquête rigoureuse devrait rechercher l’origine des bailleurs de fonds de cet Etat, car les vols qu’il a commis dans les banques de Mossul ne suffisent pas pour entretenir une armée aussi forte. Que les Etats arabes se réveillent et qu’ils s’unissent ne serait-ce qu’une fois pour isoler les barbares, les désarmer et les juger. Sinon, il n’y aura plus de sécurité nulle part.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 24/09/2014 à 06h43