Dans la société de l’image qui est désormais la nôtre, on ne communique plus de la même façon qu’il y a dix ou vingt ans. Les messages doivent être courts, percutants et, de préférence, visuels. On aime les slogans, les hashtags, les phrases incisives, les images coups de poing, les buzz… Pour faire passer un message politique ou autre, il faut que ça claque, que ça marque les esprits au fer rouge en un laps de temps ultra rapide.
Les pays occidentaux sont désormais rompus à l’exercice de cette nouvelle «dictature» de l’image et la sphère politique a bien compris l’enjeu qu’il y avait à dépoussiérer sa manière de communiquer pour investir de nouveaux canaux de communication et adopter un nouveau style de communication. Les mouvements féministes n’échappent pas à cette mue et ont su surfer sur cette nouvelle vague, venue d’outre-Atlantique, avec le mouvement MeToo né sur Twitter.
Au Maroc, le mouvement féministe, qui s’essoufflait pendant un temps, peinant à trouver son public faute de s’adapter aux nouveaux moyens de communication, retrouve une nouvelle vigueur avec la jeune génération. Preuve en est la nouvelle campagne orchestrée de main de maître-sse par la réalisatrice Sonia Terrab, «Bghatha Lwa9t», qui se trouve être riche en enseignements.
Fondatrice avec Leila Slimani du collectif Moroccan Outlaws, la jeune femme s’inscrit dans cette nouvelle mouvance qui articule son combat autour des libertés individuelles et non plus seulement du féminisme, et qui adopte les codes du moment pour faire porter son discours. C’est là une différence de taille avec nos aînées, frileuses à élargir leur combat aux libertés individuelles et, aujourd’hui encore, peu adeptes des nouvelles technologies.
Ainsi, le message féministe, véhiculé naguère par quelques magazines féminins francophones réservés à une élite, s’est peu à peu dissous à mesure que la presse écrite se délitait. Porté à bout de bras par les femmes extraordinaires qui composent la société civile marocaine et qui ont consacré leur vie à cet engagement nécessaire, ce mouvement manquait toutefois d’une chose essentielle: un visage connu, voire même plusieurs, pour l’incarner.
Et ça, Sonia Terrab l’a bien compris. Inspirée par le mouvement MeToo, qui n’aurait jamais pu atteindre de telles proportions s’il n’avait pas été incarné par les célébrités féminines d’Hollywood, la jeune femme a compris tout l’enjeu du nouveau combat sociétal qui se joue actuellement au Maroc: faire incarner la cause par des stars, de tous les âges et de différents domaines, pour atteindre deux objectifs liés à la médiatisation du sujet et la sensibilisation de toutes les populations.
Rien de nouveau dans cette façon de faire, certes, car en matière de militantisme, de politique ou de publicité, pour vendre un produit, on soigne son emballage et on y associe une star. Mais au Maroc, la chose n’est pas si aisée... Être féministe et le revendiquer, c’est une chose. Mais se ranger sous la bannière des libertés individuelles, c’est une tout autre affaire. C’est être prêt à se faire beaucoup d’ennemis et se préparer à affronter une déferlante de haine sur les réseaux sociaux. C’est là où la campagne «Bghatha Lwa9t» innove.
Pour la première fois, des actrices, des influenceuses et une rappeuse sortent du bois pour nous parler ouvertement de droit à l’avortement, d’égalité dans l’héritage, de droit de garde des enfants, de fin de l’interdiction des relations sexuelles... Et ça, ce n’est pas rien.
Ces sujets, qui faisaient naguère l’objet de joutes passionnées entre militants et politiciens, sont désormais portés par des artistes féminines qui acceptent ainsi d’endosser tout le pouvoir que leur confère leur statut d’artiste, en le mettant au service de causes qui en valent la peine et en le faisant pénétrer à l’intérieur des chaumières.
Ce premier pas n’est pas à négliger, car nombreuses sont les personnalités publiques marocaines qui craignent de perdre leur public, leurs appuis, leurs sponsors si d’aventure elles jouaient trop la carte de la modernité et des libertés. Nombreux sont ceux qui mènent une vie à l’opposé du personnage public qu’ils donnent à voir, car il ne faut pas choquer au risque de devenir un paria, montré du doigt par la frange conservatrice du pays qui, elle, contrairement à nos féministes de naguère, maîtrise à la perfection l’arme des réseaux sociaux.
Alors, bravo à ces femmes courageuses prêtes à prendre ce risque pour un Maroc meilleur où les libertés individuelles auront toutes leur place. En devenant le visage de causes essentielles, en incarnant ces libertés, ces artistes nous rappellent un essentiel: l’art a toujours été la meilleure arme pour combattre l’obscurantisme.