Durant les examens à l’université, une sorte de rivalité se déclenche entre étudiants et étudiantes. Ce n’est point une concurrence pour le savoir, les notes ou encore l’excellence. Mais plutôt une confrontation du genre, avec d’un côté les jeunes hommes, et de l’autre, les jeunes femmes. C’est une scène de pantomime, un spectacle théâtral.
Il faut se placer tout en haut des gradins, ou tout en bas si vous préférez, le principe est de laisser bourlinguer votre regard dans l’amphithéâtre. Dans ce décor national, où la jeunesse tient le premier rôle, les étudiantes portent le voile plus que d’habitude, recouvrant leurs chevelures souvent soyeuses, ainsi que les oreilles qui disparaissent sous le tissu noué plus bas, à ras le cou, serrant le visage après ce geste brusque de ligotage, au modus operandi maitrisé, que seules les femmes savent réaliser.
Les mauvaises langues affirment que le voile peut se transformer en escroquerie. Certaines étudiantes risquent, en effet, d’enregistrer les cours sur leurs téléphones et de dissimuler, dans leurs oreilles, des écouteurs sans fil. Elles peuvent sélectionner l’audio souhaité, avancer et reculer dans les pistes, grâce aux oreillettes, en se caressant légèrement le lobe de l’oreille. Tout un art! Ou, mieux encore, elles peuvent être en conversation avec quelqu’un à l’extérieur qui dicterait les réponses.
Bon, tout cela est connu, et chaque année il y a des cas de flagrants délits, des conseils de discipline, des sanctions et des zéros pointés.
Dans cet amphithéâtre, il y a cependant autre chose digne d’intérêt. Il s’agit de leurs camarades masculins, les jeunes hommes. Ces derniers adoptent durant les examens un comportement inaccoutumé. Ils portent aussi une sorte de voile, qui prend l’apparence symbolique d’une casquette américaine. Le nombre des étudiants qui décident de porter une casquette pendant les examens est impressionnant. Ils dotent leurs figures de couvre-chefs USA qui cachent aussi, partiellement, les oreilles. Verts, roses, multicolores, avec des graffitis urbains, des I Like New York, des LA (Los Angeles), des logos célèbres, des noms d’équipes de base-ball…
Ces coiffes providentielles remplacent un temps les cheveux masculins. Les casquettes ne sont pas adossées dans le bon sens, mais retournées à la Hip-Hop. La visière avant devient une coque arrière qui lui offre sa rigidité. La visière, courbée ou plate sur le modèle Snapback, a bien sûr pour rôle premier de protéger du soleil, mais pas dans les amphithéâtres. Il n’y a pas d’astre jaune brûlant au-dessus des gradins de la connaissance.
On voit, ces jours-là, ces étudiants circuler dans les couloirs des facultés, la tête donc recouverte et baissée, le visage figé dans un sérieux rictus de concentration. Ils ont rendez-vous avec le grand examinateur. C’est Allah qui donne les notes, l’enseignant n’est qu’un «sabab», une cause qui produit un effet divin. Beaucoup d’entre eux n’ont pas appris suffisamment leurs cours, et tablent sur la fortune et les prières adressées chaudement au Ciel.
Il y a les barbus à casquettes, qui radotent des hadiths comme un gri-gri ou une amulette pour influencer le sort et forcer le destin. Ce sont les voiles-casquettes les plus surprenants, qui manifestent à ce moment-là la pudeur la plus grande. Les barbus ne regardent jamais dans les yeux les étudiantes au voile suspect, mais grognent comme des ours face à l’éventualité d’une tricherie féminine musulmane via Bluetooth.
Dans les amphithéâtres, les enseignants sont dépassés par la surveillance. Ils ont pour consigne d’ordonner aux garçons de retirer leurs casquettes, mais rares sont ceux qui osent le faire. C’est en effet partial et injuste de le demander aux étudiants et pas aux étudiantes. Celles-ci bénéficient d’une omerta à l’université, l’administration se refusant de légiférer sur le voile au risque de créer une polémique politique nationale. Personne, dans les facultés, ne peut obliger les filles à retirer leur tissu inégalitaire en temps d’examen. Aucune force administrative ne veut agir sur l’affaire explosive.
Comme il s’agit de religion, les étudiants masculins acceptent sans se révolter la situation. Ils en parlent, à demi-mot, entre eux, ou lors de pics nerveux ils interpellent leurs professeurs: «Ya oustad, khalini ndir casquette, kan fekar hssen» (Professeur, laissez-moi porter la casquette, je réfléchis mieux ainsi). Soit.
En vérité, quelque chose de social, de sociologique, se déroule sous nos yeux. C’est une guéguerre circonstanciée. Une gesticulation théâtrale anthropologique. Les garçons jalousent les filles dans leur privilège de porter superbement le voile et de défier le surmoi et l’autorité.
Les garçons manifestent à leur façon leur contestation. Ils reproduisent allégoriquement le voile. Ils brouillent, lors de ce jeu de paons, l’identité masculine. De faux jumeaux. Oukheti, Akhy (ma sœur, mon frère). Ils remplacent le tissu féminin par une casquette américaine. Ils rêvassent d’être comme leurs camarades féminines douées d’un pouvoir magique.