1- Le Salon du livre
Impressionné et heureux. Le Salon du livre de Rabat a tenu ses promesses. Je ne connais pas le chiffre précis des visiteurs. Mais durant les deux jours où j’y étais, j’ai été très agréablement surpris par le nombre important de familles venues avec leurs enfants flâner, écouter des conférenciers, acheter des livres et les faire signer par les écrivains présents. La fête du livre et de la lecture a été une réussite.
Comme l’an passé, une longue file de fans attendaient d’acheter le roman d’un Saoudien qui raconte des histoires à dormir debout se déroulant pendant la Jahilya. Un phénomène incompréhensible, comparable à la vogue en France des «romances» écrites par des femmes anonymes.
Oui, je sais, la lecture n’est pas le sport favori des Marocains. Ils ne sont pas les seuls dans ce cas-là. Les Européens commencent à constater le désamour de leurs citoyens pour la lecture. Des raisons expliquent cela. Mais ce n’est pas suffisant. Nous vivons une époque où l’accélération du temps et de l’histoire nous surprend.
Les jeunes se détournent du livre. Les adultes préfèrent les séries à la télé ou des matchs de foot. Et pourtant cela ne décourage pas les écrivains d’écrire, parfois des romans de 800 ou 1.000 pages! Chaque année, la France publie pour la rentrée de septembre, saison des prix, pas moins de 500 romans. Tous les ans, c’est à peu près le même chiffre.
Le Salon a donné l’occasion à de nombreux jeunes écrivains marocains, en langue arabe ou française, de rencontrer ce public nombreux. Tout le monde écrit, même ceux dont ce n’est pas la vocation ni le métier.
Les Marocains n’ont aucune excuse de ne pas lire. La plupart des livres sont en poche, donc à un prix abordable. Un roman en poche coûte à peu près le prix d’un paquet de cigarettes américaines.
Un ami de condition modeste me dit: «Mon fils de dix ans, non seulement refuse de lire, mais ne supporte pas l’école. Tous les matins, c’est une épreuve pour qu’il se rende à l’école. Que faire? Je suis désespéré.»
Si l’école n’est pas attrayante, la lecture ne le sera pas non plus. À nous de nous poser cette question et de proposer des réformes de l’éducation nationale (encore une, me diriez-vous). Partons du désir ou du non-désir de l’élève. Après, les choses seront plus claires.
Le dernier jour du Salon a eu lieu, en présence de l’ambassadeur de France au Maroc, l’annonce du choix Goncourt du Maroc. Un jury composé de huit étudiants et étudiantes de onze facultés des lettres des principales villes du pays s’est réuni à l’Institut français et a délibéré. Il fallait voter pour l’un des quatre romans retenus par l’Académie Goncourt la saison passée.
Après des débats, les huit jurés ont fini par se mettre d’accord pour que le choix Goncourt cette année soit «Jacaranda», de Gaël Faye, un roman sur les séquelles du génocide rwandais.
Ainsi, Le Maroc fait partie des 42 pays qui participent au Choix Goncourt. Ce qui fait lire des jeunes et met la lumière sur la nécessité de la lecture et de la découverte.
Bravo pour le ministre de la Culture et son équipe. Bon travail! On peut les remercier.
Une suggestion cependant: que chaque ville ait les moyens d’organiser son propre Salon du livre. Rabat, c’est bien, Taza ou Tétouan, Dakhla et Taroudant méritent elles aussi d’avoir leur salon et leur fête.
2- Le calamar
Comme à Tanger ou à Casablanca, des restaurants à la mode à Rabat ne désemplissent pas. L’autre soir, des amis m’ont invité dans un de ces restaurants du charmant quartier de la Marina. Paysage nocturne éblouissant. La Tour Hassan éclairée en rouge, le pont en blanc et l’eau du Bouregreg qui coule tranquillement.
On commande. Toutes les tables sont prises. Apparemment tout le monde est content. Après une petite demi-heure d’attente, les plats arrivent.
Ma soupe de poisson: dans une assiette creuse, deux petites crevettes, deux, pas plus. Le serveur apporte un pot et verse sur les deux malheureuses crevettes ce qui est censé être une soupe de poisson. Le liquide en question n’a aucun goût. Bon, j’avale quelques cuillérées et je m’arrête. Je vais me rattraper sur le calamar à la provençale.
Pauvre calamar. Sorti depuis peu du congélateur, il est en caoutchouc, inodore et immangeable. J’appelle le serveur. Je lui dis: «C’est du congelé non décongelé. Pas possible d’avaler ça!» Pas de réponse. Quelqu’un l’appelle, il s’en va.
J’aurais voulu faire venir le patron et l’obliger à bouffer toute mon assiette. Mais il n’y a pas de patron. Il est ailleurs, sans doute en train d’additionner les recettes.
Qu’en est-il des plats de mes amis? Par politesse, ils mangent sans extase. Un Saint-Pierre gélatineux aurait lui aussi séjourné dans le congélo. L’un d’eux me dit: «Tu sais, le cadre est agréable, les gens viennent ici pour le paysage et les couleurs de la Tour Hassan, le reste est négligeable».
Après avoir réglé la note (salée comme il se doit, avec prix parisiens), nous quittons ce restaurant. Un autre serveur nous pose la question traditionnelle devant la porte de sortie: «Ça a été?». Réponse: «Oui, tout à fait, l’eau minérale Sidi Ali est excellente; ni trop froide ni trop chaude; à température tempérée! Félicitez le chef de notre part pour la qualité de cette eau.»
La veille, j’ai vu un ami étranger, faisant partie de l’Académie du Royaume. Il est pâle: «J’ai mangé un truc dans un de ces restaurants à la mode. J’ai vomi toute la nuit.»
On se demande ce que font les responsables du contrôle de l’hygiène et de la sécurité alimentaire. Ils doivent être débordés ou bien alités après avoir mangé gratuitement dans un de ces restaurants où tout sort du congélateur et parfois y retourne (ce qui est interdit et dangereux).
Encore une fois, il n’est pas normal que ces restaurants pratiquent des prix parisiens et payent leur personnel à la marocaine. Je vous laisse deviner leur misérable salaire. L’appât du gain, par n’importe quel moyen, est devenu un autre sport. Comme dit le dicton de chez nous «Emballe à la va-vite et livre au borgne»! C’est honteux, indigne de notre belle hospitalité.





