Le Code de la famille en débat

Mustapha Sehimi.

ChroniqueDans le cadre de la réforme du Code de la famille, le Maroc doit veiller à mettre à plat sa législation par rapport aux instruments internationaux ratifiés, mais sans évacuer son référentiel identitaire et religieux, à savoir les «constantes» nationales.

Le 07/11/2023 à 13h39

C’est par lettre adressée par SM le Roi au Chef du gouvernement, en date du 26 septembre dernier, que la réforme du Code de la famille a été à l’ordre du jour. Le Souverain y a précisé la composition de la commission ad hoc chargée de ce dossier, les axes de son travail sur la base d’une large consultation, ainsi que le délai de six mois pour la finalisation d’un avant-projet de texte législatif. «Avant projet»? Oui, parce qu’il faudra ensuite le finaliser avant son adoption par le gouvernement et son dépôt pour délibération par le Parlement. Enfin, à l’initiative royale, la loi n° 70-03 portant Code de la famille, promulguée par dahir du 4 février 2004 et publiée dans le bulletin officiel huit mois plus tard, le 6 octobre 2004, va faire l’objet d’une révision. Enfin! C’est que SM le Roi avait déjà lancé ce grand chantier dans son discours du Trône du 30 juillet 2022. Devant une situation d’immobilisme durant pas moins de quatorze mois, est intervenue cette lettre s’apparentant à une piqûre de rappel.

La commission voit le chef de l’Exécutif en assurer la supervision, ce qui signifie qu’il n’a pas vraiment en l’espèce quelque pouvoir décisionnaire. Elle s’articule comme suit: un collectif collégial de pilotage de trois membres (le ministre de la Justice et les présidents de deux institutions constitutionnelles judiciaires, celui du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et celui du Ministère public), des membres du Conseil supérieur des oulémas, du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), du ministère de la Famille ainsi que des chercheurs. Elle a commencé ses auditions des organisations féministes, qui seront suivies par d’autres dans l’agenda de ce mois de novembre.

Au menu, si l’on ose dire, des points de débat, que trouve-t-on? Il faut bien évoquer le problème du mariage des filles mineures. En moyenne, l’on compte 16.000 cas de mineures, entre 15 et 18 ans, dont 3.000 de moins de 15 ans, alors que l’âge minimum légal est de 18 ans. C’est là un mariage subi, voire forcé, quoi qu’on en dise. Pareille situation tient à la possibilité de «dérogations» accordées par les juges. Ce qui est demandé aujourd’hui par le mouvement associatif féminin regarde l’application stricte de l’âge minimum et en même temps la pénalisation de toute violation. La polygamie est une autre préoccupation avec la révision des dispositions de l’article 41 du Code de la famille. Il doit être assorti de mesures fortement dissuasives, relatives notamment à la capacité financière de l’époux et à la jouissance d’un logement sur des bases d’équité de traitement. La preuve de la filiation paternelle est également à l’ordre du jour et elle fait référence à l’adoption d’un test ADN pour mettre fin à des situations contentieuses difficiles. Le droit de garde des enfants est un autre point avec la législation actuelle, qui supprime ce droit en cas de remariage de la femme divorcée. Avec l’article 236, la tutelle n’est confiée qu’au père et pas à la mère, et doit être partagée dans la mesure où elle doit conduire à une pleine égalité entre les deux époux. Il faut encore évoquer le partage des biens, la femme participant à la vie familiale, en particulier dans la vie domestique. D’autres institutions sont encore à relever: la dot qui doit garder son caractère symbolique, conforme aux us et coutumes, sans être une condition sine qua non du mariage. À ce sujet, une proposition est faite pour une gestion commune des biens acquis pendant le mariage et pour leur partage en cas de divorce. La consignation de cette clause doit se faire dans le contrat de mariage et non plus dans un contrat annexe comme c’est le cas aujourd’hui. Avec le mariage mixte, c’est une question épineuse qui est en discussion: l’égalité doit être consacrée à propos du mariage de la femme musulmane avec un non-musulman. Des associations féminines estiment qu’il faut modifier un texte «dépassé» eu égard au nombre croissant des mariages interreligieux et que l’acte de conversion à l’islam qui conditionne ce type de mariage est devenu «un acte purement factice»… Enfin, la question de l’héritage est complexe et délicate. Il s’agit de limiter les héritiers aux ascendants et descendants directs, filles ou garçons, et ce, à l’exclusion des collatéraux, de consacrer le droit au testament en faveur des héritiers sans la limitation actuelle au tiers des biens.

Un débat national ouvert et qui va s’élargir dans les mois à venir, au fur et à mesure de l’avancement des travaux de la commission. Il rebondira certainement lorsque cette institution remettra son avant-projet et qu’il sera soumis à la délibération parlementaire. La société marocaine a beaucoup évolué ces dernières décennies, nul ne le conteste. Mais subsistent encore bien des réticences, avec des mentalités qu’il faut sans doute bousculer, mais sur la base d’un programme de sensibilisation, d’information et de communication. Un courant conservateur et un autre moderne et progressiste sont à relever à un premier niveau, mais ils s’entrecroisent suivant telle ou telle réforme. Le Maroc doit veiller à mettre à plat sa législation par rapport aux instruments internationaux ratifiés, mais sans évacuer son référentiel identitaire et religieux, à savoir les «constantes» nationales. De l’ijtihad donc!

Par Mustapha Sehimi
Le 07/11/2023 à 13h39