Depuis plusieurs jours, nous sommes submergés d’émotions face au flot d’images qui inonde les réseaux sociaux, en direct du Haouz et de ses villages dévastés.
Y transparaissent la douleur, la misère, l’ampleur de la catastrophe qui a frappé le Maroc en cette funeste soirée du 8 septembre, mais aussi la dignité des habitants victimes de cette catastrophe et qui peuplent les hauteurs de l’Atlas. Cette majesté qui leur est propre, malgré les affres de la misère, n’a d’égale que leur générosité et leur hospitalité légendaire, lesquelles se sont révélées dans toute leur beauté au milieu de la tragédie qui. Aux secouristes, aux forces de l’ordre, à tous ceux qui leur apportent leur aide, ils répondent par cet incroyable sens du partage qui fait leur richesse, en les accueillant, avec le peu dont ils disposent, autour d’un thé agrémenté de fruits secs, d’une coupelle d’huile et de pain, parfois aussi d’un tajine…
Cette générosité, ces sourires qui se dessinent dans les épreuves mêmes les plus terribles de la vie, cette foi inébranlable qui consiste à s’en remettre à Dieu et à accepter sa volonté, sont ce qui fait l’ADN des Marocains qui peuplent le monde rural de notre pays.
C’est une véritable leçon de vie que nous transmettent, à nous autres citadins qui nous éloignons de nos traditions dans notre course à la modernité, ces gens miséreux drapés de majesté. La richesse n’est pas là où on le pense, semblent-ils tous nous dire.
Ce monde dans lequel ils vivent, accrochés entre ciel et terre, dans l’harmonie la plus totale avec la nature et ses éléments, se confronte aujourd’hui à une société venue d’ailleurs, la nôtre, qui s’articule autour de l’image et du paraître. Face à leur détresse, il y a bien entendu ces héros du Maroc, les secouristes, les membres de la société civile et les Forces armées royales à qui nous ne cesserons de rendre hommage pour leur courage et leur dévouement, mais il y a aussi ces autres, qui observent ces populations et leur drame à travers l’écran de leurs smartphones.
Ils sont influenceurs, paraît-il, mais faute d’influencer le monde pour qu’il soit meilleur, c’est dans leur course effrénée aux followers qu’ils se sont empressés de se rendre sur les lieux du drame, quitte à créer des embouteillages monstres sur les routes et entraver le travail de secouristes.
Dans leurs stories, leurs lives, leurs posts, ces bonnes âmes pétries d’égocentrisme, aux manucures irréprochables, aux faux cils longs comme un jour sans pain, se sont mises en scènes selon les codes des réseaux sociaux, à coups de hashtags, d’émoticônes larmoyantes et de filtres qui embellissent. Dans ces scénarii cousus de fil blanc, ils et elles se sont starifiés en campant le rôle du héros venu sauver le monde rural. Qui en train de nourrir un enfant, qui en train de faire des dons ou annoncer vouloir en faire, de relater ce qui se passe sur place en mode Tintin dans le Haouz, ou mieux encore, de poser, le regard perdu dans le vague d’un air qui tente d’être à la fois profond et compatissant, sur les ruines, où quelques heures plus tôt gisaient peut-être encore des corps… Le tout, en n’oubliant pas de faire quelques placements de produits, et de mettre en valeur la dernière pochette Louis Vuitton, nonchalamment suspendue à une épaule sur laquelle personne ne pleure. Leur but non avoué, mais tellement évident: faire le buzz, occuper la première place des trends et avec un peu de chance, «faire du fric».
À l’authenticité de ce monde rural dont nous mesurons, dans cette catastrophe qui nous frappe, le caractère précieux, se confronte ce vide intersidéral qui caractérise notre société actuelle, où se disputent les trois premières marches du podium: la superficialité crasse, la laideur de l’égocentrisme et le miroir aux alouettes des apparences.
Tout être humain normalement constitué, habité d’un tant soit peu de valeurs et d’humanisme, ne peut ressentir que de la honte face à ce spectacle affligeant d’une société qui n’existe que pour le paraître.
À ces vautours en mal d’audience, on ne saurait faire l’impasse sur une espèce tout aussi pathétique, celle de journalistes en quête de sensationnalisme, prêts à vendre père et mère pour décrocher une image, un titre, des déclarations qui feront la différence. Faute de pouvoir donner des leçons au Maroc en matière de solidarité et de gestion de crise, la presse française nous a toutefois donné un bel exemple à ne pas suivre, celui du manque d’éthique et de déontologie, sous couvert de liberté d’expression et de promotion des valeurs démocratiques et droits-de-l’hommiste. Un cocktail indigeste dont on se passe volontiers.