Une barquette de tomates marocaines vendue à 0,99 euro. Un producteur l’a montrée dans une émission de télévision française sur la crise des agriculteurs. Il disait: «Comment voulez-vous entrer en concurrence avec la tomate du Maroc, très bonne par ailleurs, quand on sait que le paysan marocain est payé un euro l’heure et le français 14 euros? C’est impossible».
Les marchés français regorgent de fruits et légumes marocains. Le Maroc a la cote. Mais il ne fait pas l’affaire des producteurs français. Le prix du travail n’est pas le même dans les deux pays. En outre, on apprend que les meilleurs fruits et légumes sont expédiés en priorité en Europe. Les autres, ceux qu’on appelle dans le jargon commercial «les gueules cassées», sont destinés aux familles marocaines. Elles se moquent pas mal du calibrage des fruits et légumes.
Il est normal d’exporter le meilleur. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le Maroc importe des fruits et légumes de l’étranger? Ainsi, j’ai vu l’autre jour dans un supermarché de Marrakech des pommes à 30 dirhams le kilo, parce que venant de l’étranger, et à côté des pommes quasi semblables à 13 dirhams, parce que locales.
Le Marocain se contenterait de consommer les produits de son pays. On importe en principe ce que le Maroc ne produit pas. Cette logique de l’importation est bizarre.
On trouve aussi des bouteilles d’eau minérale à des prix exorbitants parce que venues de l’étranger. Est-ce une nécessité absolue? Je ne crois pas. Certes, on me dira que des Marocains riches aiment acheter des produits importés, les considérant meilleurs que ceux du pays. Mais c’est ridicule. Il vaut mieux que ces devises soient utilisées pour acheter des médicaments que le Maroc ne fabrique pas, plutôt que de les dépenser en important des produits qui ne sont pas d’une absolue nécessité.
En été, on importe la pastèque espagnole ou même, paraît-il, l’égyptienne. Le transport coûte énormément. Pourquoi ce gaspillage? On me dira certainement que la production marocaine ne serait pas suffisante pour la consommation locale. Peut-être, mais alors pourquoi une bouteille Evian serait-elle meilleure qu’une eau locale?
Par ailleurs, pourquoi le Maroc produit des fruits exotiques qui réclament beaucoup d’eau, pour être aux normes européennes (les avocats par exemple)?
Chaque fois que je me trouve en Espagne, je mange du poisson, simplement parce que je suis sûr qu’il vient des côtes marocaines. Pendant ce temps-là, le prix de la sole ou de la daurade est devenu très élevé pour le consommateur marocain. Seule la sardine reste abordable.
Je ne trouve pas beaucoup de logique dans tout cela. Je m’interroge en tant que simple citoyen qui aime aller faire son marché et qui se rend compte des absurdités d’un commerce particulier entre notre pays et l’Europe.
Il m’est arrivé d’acheter des vêtements de qualité, made in Morocco. Le système européen profite du prix très bas du travail au Maroc pour fabriquer ce que des usines françaises ou néerlandaises ne pourront pas faire, à moins de vendre ces produits à des prix énormes.
Tant que le Maroc permet à des industriels de payer mal ses ouvriers, il fait le bonheur du commerce européen.
On le voit aussi pour l’usine Renault à Tanger. J’ai entendu l’autre jour le PDG de cette marque rappeler que grâce au taux horaire marocain, qui est très bas, il peut vendre ses Dacia à un prix assez convenable.
Un ouvrier en France, payé au Smig (1.539,42 euros; il est à peu près le même au Royaume-Uni et en Allemagne), revient à l’employeur à plus de 3.000 euros, car il faut payer les charges et les contributions sociales. L’ouvrier marocain, qui a si peu de droits, coûte dix fois moins que le Français!
La solution? Hausser le taux horaire du travail. Cela fait fuir des usines? Elles iront en Tunisie ou à Madagascar. Sans doute, mais alors, tout en accordant à l’ouvrier marocain des droits, ne faut-il pas augmenter son salaire, lequel serait répercuté dans la vente à l’étranger de ce qu’il produit?
Le problème est là. Je ne prétends pas avoir de solution. Mais au moins, qu’on en parle.