Interdiction de la jellaba au Lycée Descartes de Rabat: l’établissement met les choses au clair

Photo de classe des élèves en tenue traditionnelle marocaine, pour le Year Book du Lycée Descartes de Rabat.

Photo de classe des élèves en tenue traditionnelle marocaine pour le Year Book 2023 du Lycée Descartes de Rabat.

A chaque semaine sa polémique impliquant de plus en plus fréquemment des établissements scolaires français au Maroc. Mais entre les faits avérés et les rumeurs qui se propagent comme une traînée de poudre, la frontière se fait de plus en plus poreuse. Qu’en est-il de la dernière information en date, selon laquelle le Lycée Descartes de Rabat aurait interdit le port de la jellaba à des élèves. Fact-checking.

Le 18/04/2023 à 16h01

Selon des articles qui circulent dans la presse locale, des élèves, en «particulier des garçons», se seraient vu interdire l’accès au Lycée Descartes de Rabat, où ils sont scolarisés, en raison du port de jellabas. Une information reprise notamment par le sociologue Mohammed Ennaji sur son compte Facebook. Celui-ci a exprimé son indignation sous forme de questions ouvertes à l’ambassade de France au Maroc en dénonçant «un ijtihad cartésien au nom duquel, sous prétexte de défendre la laïcité et la lumière, on s’enlise dans la confusion et l’obscurité».

Mohammed Ennaji écrit, par ailleurs, que «selon les responsables de l’école, la jellaba serait un vêtement non civil, autrement dit religieux». En effet, «j’ai demandé s’il y avait une loi interdisant le port de la jellaba, et les règlements intérieurs ont été utilisés confusément comme prétexte!», explique-t-il.

Ce commentaire du sociologue marocain, que nous avons tenté de joindre via le même canal mais sans succès jusqu’à présent, a été abondamment commenté sur la Toile. Certains adhèrent à cette sainte colère qui prend ses racines dans l’idée qu’un établissement scolaire étranger au Maroc se doit de s’adapter et de respecter les us et coutumes locaux.

D’autres internautes, au contraire, critiquent ouvertement cette prise de position, arguant que quand on inscrit ses enfants dans un établissement laïc, on s’adapte à son règlement intérieur, lequel est signé au préalable, lors de l’inscription, par les parents d’élèves.

Enfin, estime-t-on aussi, pourquoi faire tout un foin de l’interdiction du port d’une jellaba, qui en soi n’est pas une tenue religieuse, dans un lycée français, quand elle n’est pas non plus autorisée dans les écoles marocaines publiques où l’uniforme est de mise, ni dans les autres écoles?

Pour mettre les choses au clair, Le360 a pris contact avec la direction du Lycée Descartes qui, jusqu’à présent, n’avait pas eu voix au chapitre. A la question «y a-t-il eu, oui ou non, une interdiction d’accès à l’établissement émise contre des élèves pour port de la jellaba?», la proviseure de l’établissement et cheffe du pôle Rabat-Kénitra du réseau AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), Najat Delpeyrat, a répondu sans se défiler par l’affirmative.

Toutefois, quelques éclaircissements s’imposent quant à cette décision prise à l’entrée de l’établissement par le personnel encadrant, et non approuvée par la direction elle-même, qui est intervenue pour rappeler à l’ordre les membres de son équipe concernés.

La jellaba de la discorde: le déroulement des faits

C’est en présence du chargé de communication du Lycée Descartes que Najat Delpeyrat est revenue pour Le360 sur le déroulement des faits: «J’ai pris connaissance, il y a quinze jours, du cas d’une jeune fille refusée à l’entrée de l’établissement, et je suis allée la chercher moi-même sur le parvis pour la faire entrer. J’ai été informée de la situation par son père et je suis donc immédiatement allée la chercher pour lui faire intégrer ses cours tout en rappelant à l’ordre le personnel qui ne l’avait pas acceptée.» La jeune fille portait-elle une jellaba? «Oui, elle était habillée d’une très belle jellaba», poursuit la proviseure, qui confirme que le personnel lui a interdit l’accès «à tort» en raison de sa tenue.

Voilà pour le premier cas. Venons-en maintenant au second –et dernier– cas qui s’est déroulé il y a quinze jours au sein du même établissement, et que Najat Lapeyrat confie avoir découvert après coup. Il s’agit cette fois-ci du cas d’un conseiller principal d’éducation (CPE) «qui a fait remarquer à une jeune fille qu’il fallait éviter de mettre une jellaba», relate la proviseure. Le personnel administratif a alors appelé la famille de l’élève pour lui demander de lui apporter une autre tenue, chose qui a été refusée, et la jeune fille a tout de même intégré sa salle de classe.

«J’ai rappelé la personne à l’ordre en lui disant qu’elle n’avait pas à inquiéter la jeune fille et encore moins à appeler la famille», explique la proviseure. Cette dernière précise avoir aussi rappelé à ses effectifs qu’«en aucun cas la jellaba n’est une tenue religieuse» et qu’«il faut plutôt discuter avec les jeunes pour donner du sens aux propos que l’on tient et expliquer pourquoi la tenue n’est pas conseillée, en l’occurrence car elle entrave certaines activités scolaires».

Pourquoi cette remarque adressée à la jeune fille alors? Oui ou non, la jellaba est-elle interdite au sein de l’établissement? «Ce n’est pas proscrit mais déconseillé parce qu’il y a des activités scolaires qui ne sont pas compatibles avec le port d’un vêtement comme la jellaba. Mais ça pourrait être un autre vêtement, ce n’est pas forcément cet habit en particulier», explique Najat Delpeyrat en listant, parmi lesdites activités, «la pratique sportive, la fréquentation des laboratoires des sciences de la vie et de la terre ou encore de sciences physiques, parce qu’il y a des matières inflammables».

«Par ailleurs, tient à souligner la proviseure, j’insiste beaucoup auprès des personnels sur le fait qu’il faut faire montre d’une certaine tolérance, surtout en période de ramadan, moment pendant lequel, dans la société marocaine, on voit un peu plus de jellabas que d’habitude. Nous vivons au Maroc et nous vivons au rythme des manifestations populaires en y prenant part.»

La jellaba dans le règlement intérieur des établissements français du Maroc

«Le règlement intérieur ne parle pas du tout de jellaba», mentionne Najat Lapeyrat, précisant que ce qui est exigé en termes de tenue vestimentaire des élèves est «une tenue correcte». S’agissant de ces codes vestimentaires attendus des élèves, la proviseure explique essayer de «former les élèves pour aller vers la vie active». Elle cite ainsi l’exemple des élèves de la formation technologique STMG, relevant du secteur tertiaire, qui effectuent des formations professionnelles en entreprise et se voient proposer une formation sur la posture professionnelle. Une partie intégrante de cette formation est la tenue que l’on porte en milieu professionnel. En d’autres termes, pour chercher un stage, on se présente en veste, chemise et pantalon.

«Si nous avons une exigence sur la tenue vestimentaire, c’est donc aussi parce que nous préparons de futurs citoyens et leur apprenons que chaque chose a son moment et son lieu. Il faut savoir s’adapter aux situations», poursuit la proviseure du Lycée Descartes.

Quid de l’application de la laïcité dans un établissement français au Maroc?

La question revient souvent sur les réseaux sociaux: comment un établissement français au Maroc applique-t-il le principe de laïcité? La direction de l’établissement tient-elle compte des us et coutumes locaux et s’y adapte-t-elle? Najat Delpeyrat répond en commençant par présenter son établissement et le profil des élèves qui y sont inscrits: «Nous sommes un établissement français, bien sûr avec des valeurs que nous partageons au sein de notre communauté, et nous accueillons des élèves français, des élèves marocains, mais aussi trente-trois nationalités différentes.» Et de poursuivre que l’établissement «compose avec ces différences qui sont une grande richesse pour nous et sont loin d’être un frein».


Ainsi, à titre d’exemple, la proviseure cite le ftour solidaire organisé au sein du Lycée Descartes le 15 avril, au profit de l’orphelinat Dar Al Moussawat, auquel étaient conviés le personnel de l’établissement, les parents et les élèves.

«Tout le monde était habillé en tenue traditionnelle marocaine et nous avons aussi invité six stylistes de mode traditionnelle à présenter leurs créations lors d’un défilé-vente», explique la proviseure, elle-même habillée d’une jellaba ce jour-là, nous précise-t-elle photo à l’appui.

Madame Delpeyrat (2ème en partant de la droite), accompagnée des représentantes des associations de parents d'élèves et de l'association Dar Al Mouwassat, prises lors du F'tour solidaire qui a eu lieu samedi 15 avril au lycée Descartes à Rabat.

Autre exemple de respect des traditions locales: l’organisation de séances de photos de classe pour la composition d’un year book dont la thématique a été choisie par les élèves. Certains d’entre eux ont choisi, comme en attestent les photos communiquées par l’établissement à notre média, de poser en tenue traditionnelle marocaine.

Najat Delpeyrat se désole, par ailleurs, que son établissement ne soit cité dans la presse que quand il s’agit de sujets négatifs, rappelant pourtant qu’en 2022, elle a par exemple fait rebaptiser 80% des salles du Lycée Descartes qui portaient les noms d’anciens chefs d’établissements, de noms de personnalités arabes et marocaines. «Nous avons désormais des salles qui portent les noms de Nawal Saadawi, Fatema Mernissi, Meriem Meziane, Aicha Ech-Chenna, Chaïbia, Rouicha… Deux salles seulement portent les noms de personnalités françaises, qui sont Simone Weil et Marie Curie.»

Alors, comment la laïcité s’applique-t-elle dans un établissement français au Maroc? «J’ai 22 ans de carrière de direction d’établissement derrière moi, et dans les différents établissements que j’ai gérés, il n’y a jamais eu de problème par rapport au port du voile ou de la jellaba», annonce Najat Delpeyrat. Sa conception de la laïcité, «c’est une liberté, celle de croire ou ne pas croire, c’est laisser le choix et respecter le choix de chacun».

Elle poursuit: «Quand on arrive dans un établissement scolaire, c’est un établissement neutre, c’est-à-dire que les enseignants ne doivent pas y exprimer ni leurs opinions politiques ni celles religieuses. On se doit de respecter chacun dans son intégrité et dans ses croyances. C’est la raison pour laquelle la neutralité permet à chacun d’exister. Les croyances politiques et religieuses s’expriment dans une sphère privée et l’école est un espace neutre où doivent être respectés tous les élèves.»

Et de conclure que le dialogue avec les familles permet d’aplanir toutes les situations.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/04/2023 à 16h01