J’ai deux définitions très personnelles des peines alternatives (à la prison). La première: «C’est une manière de faire la prison sans en faire, tout en en faisant, ou presque!». Oui, c’est compliqué.
Ma deuxième définition: «C’est une manière de désengorger les prisons, de briser la barrière psychologique que représente l’incarcération et de payer sa dette envers la société en se rendant utile à cette même société». C’est évidemment cette définition qu’il faudra retenir. Elle est trop rose, mais elle explique pourquoi le Maroc a décidé d’entériner un projet de loi extrêmement important, fondateur, structurant.
Au lieu de faire de la prison, et pour peu qu’il remplisse certaines conditions (peine inférieure à 5 ans, absence de récidives et un certain nombre de garanties), un condamné peut «payer» autrement, notamment en accomplissant un travail d’intérêt public, lié à la nature de son activité professionnelle. D’autres mesures peuvent être prévues, comme le port du bracelet électronique et d’autres types de restriction.
Dans l’absolu, et sans entrer dans des considérations techniques, ce projet de loi, ou plutôt cette réforme, donne envie d’applaudir. Quitte à le faire d’une seule main.
Expliquons-nous: le besoin de désengorger des prisons marocaines est réel, mais il faut être naïf pour croire que cette noble mission justifie à elle seule ce beau projet. Il y a d’autres objectifs, d’autres promesses.
Qui est éligible et comment? Quelle est la nature des peines recyclables? Toute la question est là.
Dans l’idée, le Maroc peut profiter de l’aubaine pour dépénaliser, certes indirectement, toute une gamme de peines liées aux libertés individuelles, notamment la question de la sexualité. Cette possibilité existe, la brèche est là…
Mais il n’y a pas que le sexe, d’autres «crimes» méritent d’être dépénalisés, comme les questions liées à la liberté de conscience et, plus généralement, les droits des minorités.
Le Maroc s’engouffrera-t-il dans cette brèche? Il faut l’espérer, même s’il est trop tôt pour le savoir. Mais c’est un combat, et un combat juste. Et il mérite le soutien, en amont, de tous les progressistes.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réforme ne plaira pas à tout le monde. Ceux qui ont l’habitude de voir le verre à moitié vide diront qu’en aménageant la possibilité de peines alternatives, le Maroc risque d’encourager la délinquance. Trop facile. Les risques n’ont jamais empêché les avancées. Et si l’humanité n’écoutait que ses peurs, elle n’irait plus nulle part.
Le tiers de la population carcérale purge des peines inférieures à 2 ans. Beaucoup parmi eux doivent être éligibles à une peine alternative. La bonne question est de savoir si le «jackpot» ira à ceux qui le méritent. Derrière cette question, il y a bien sûr une inquiétude: que les plus offrants soient les premiers servis.
Le projet est là et il est beau, vu de l’extérieur. Mais s’il est dévoyé, il pourrait approfondir le fossé qui sépare les riches des pauvres, et «ceux qui ont quelqu’un» de «ceux qui n’ont que Dieu» pour espérer s’en sortir.
Ce risque-là est réel. Mais il faut le courir.